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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

qu’il s’apercevait depuis long-temps des mauvais procédés des Zuccati à son égard, il le pria de lui dire, fût-ce sous le sceau du secret, s’il était résolu définitivement à quitter leur école.

— Il n’y a point là de secret à garder, répondit Bartolomeo, car non-seulement c’est une chose résolue, mais encore c’est une chose faite.

Bianchini exprima sa joie avec réserve, assura le Bozza qu’il eût pu rester dix ans avec les Zuccati sans faire un pas vers la maîtrise, et lui cita l’exemple du Marini, qui était un garçon de talent, et travaillait avec eux depuis six ans sans autre récompense qu’un salaire modeste et le titre de compagnon. — Le Marini se flatte, ajouta-t-il, de passer maître à la Saint-Marc, d’après la promesse de messer Francesco Zuccato ; mais…

— Il le lui a promis ? positivement ? dit le Bozza dont les yeux étincelèrent.

— En ma présence, répondit Vincent. Il vous l’a peut-être promis à vous-même ! Oh ! il n’en coûte rien aux Zuccati de promettre ; ils traitent leurs apprentis comme ils traitent les procurateurs, en faisant plus de discours que de besogne. Ils ont de belles paroles pour expliquer à leurs dupes que l’art demande un long noviciat, qu’on tue un artiste dans sa fleur en le livrant trop tôt aux caprices de son imagination ; que les plus grands talens ont échoué pour s’être trop vite affranchis de l’étude servile des modèles, etc. Que ne disent-ils pas ? Ils ont appris par cœur dans l’atelier de leur père (lorsque leur père avait un atelier) cinq ou six grands mots qu’ils ont entendu dire au Titien ou à Giorgione, et maintenant ils se croient maîtres en peinture, et parlent comme des arbitres. Vraiment, c’est si ridicule, que je ne conçois pas que votre grand diable de l’Apocalypse, ce morceau si parfait, si comiquement traité, si bien encorné, et de si belle humeur, que je n’ai jamais pu le regarder sans rire, ne se détache pas de la muraille, et ne vienne pas, de sa queue de lion, leur donner sur les oreilles, quand ils disent des choses si ridicules et si déplacées dans leur bouche.

Quoique le Bozza fût blessé de ces éloges grossiers donnés à son morceau capital, à une figure qu’il avait eu le dessein de rendre terrible et non grotesque, il éprouvait une joie secrète à entendre railler et déprécier les Zuccati. Quand le Bianchini crut avoir gagné sa confiance en caressant sa blessure, il lui fit l’offre de le prendre dans son école, et lui promit même un salaire très supérieur à celui qu’il recevait des Zuccati ; mais il fut surpris de recevoir un refus pour