Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/555

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
551
HOMMES D’ÉTAT DE LA GRANDE-BRETAGNE.

anglais. S’il m’était permis, pour compléter cette comparaison, d’imaginer, entre les deux grands orateurs de l’antiquité, l’échange d’une partie de leurs facultés respectives, je dirais que Canning était un Cicéron sans art, et que Peel est un Démosthène étudié.

Sir Robert Peel ne prend ordinairement la parole que vers la fin d’une discussion ; il sait que sa force principale consiste à récapituler les argumens de ses adversaires et à clore de longs débats par une impression décisive, et il s’applique à les priver, autant que possible, de l’avantage d’une réplique. J’ajouterai, pour compléter ce portrait sous un autre point de vue, qui a bien aussi son importance, que l’action oratoire de Peel est assez singulière et plutôt énergique que gracieuse. Un de ses gestes favoris, quand il est excité, est de frapper à coups de poing nombreux et pesans, sur une boîte de papiers qui est devant lui sur la table du président ; et les sons qu’il tire de ce tambour de bois, mêlés aux puissantes intonations de sa voix, produisent quelquefois un bruit vraiment effrayant. Je ne sais pas si Périclès tonnait précisément de la même manière à Athènes, mais certainement la faculté de faire un grand bruit est de quelque utilité pour commander l’attention d’une nombreuse assemblée. Une de ses attitudes habituelles est de tourner le dos à ses adversaires et au fauteuil du président, et de regarder en face les bancs garnis de ses partisans, comme s’il sollicitait leurs applaudissemens ; car il a besoin, comme la plupart des orateurs dont l’éducation a été entièrement parlementaire, et comme les acteurs sur le théâtre, d’être excité par les applaudissemens, et il sent fléchir sa propre énergie quand les acclamations et l’enthousiasme des autres ne la soutiennent pas.

Le père de sir Robert Peel était un des nombreux enfans d’un pauvre fabricant du comté de Lancaster. Il fit son chemin dans le monde par l’énergie de son caractère, et grace aux bonnes chances qu’il rencontra ; car il se jeta dans l’industrie du coton à l’époque où elle prit une extension soudaine par l’invention de plusieurs machines extraordinaires, et il établit en peu d’années les fondemens d’une immense fortune. On dit de lui, comme on le dit généralement de tous ceux qui réussissent, qu’il avait le pressentiment d’être destiné à devenir la souche d’une grande famille. Il entra au parlement comme représentant du petit bourg de Tamworth, que ses établissemens industriels avaient élevé de la pauvreté à la richesse ; et pendant trente ans, il continua d’habiter cette agréable résidence de famille, où il employait, disait-on, quinze mille ouvriers à la fois. Pitt le fit baronnet en 1800. Il avait été long-temps un des soutiens les plus