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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

chète heureusement ce défaut par le courage, je devrais dire par la nouveauté des sentimens qu’elle développe ; car soutenir que l’accomplissement des devoirs politiques doit passer avant le bruit des applaudissemens, soutenir que le témoignage de la conscience est supérieur à la popularité, c’est pour la foule qui regarde et pour la foule qui agit, pour le peuple des orateurs et pour le peuple des auditeurs, quelque chose qui tient du paradoxe. M. Barbier ne partage pas l’avis de la foule, et nous croyons qu’il fait bien. Il voit dans l’amour effréné de la popularité l’origine et la cause de la plupart des maux qui affligent la France, et nous croyons qu’il a raison. Lorsqu’il écrivait la Popularité, cette vérité ne souffrait guère de contestation ; cinq ans plus tard, sans changer de langage, il eût compris que la corruption ne travaille pas moins sûrement que la popularité à la ruine des droits, au sacrifice des intérêts généraux ; sans effacer ses premières paroles, il eût écrit sur la corruption un iambe digne de ses frères aînés.

Les Iambes de M. Auguste Barbier, dont la forme rappelle André Chénier, mais dont la substance entière appartient bien en propre à celui qui les a signés, ont résolu pour la seconde fois, c’est-à-dire d’une façon définitive, la question relative à la dignité poétique de la satire. La démonstration commencée par l’illustre auteur de l’Aveugle, et complétée par l’auteur de la Curée, est désormais entourée d’une si lumineuse évidence, que le doute n’est plus permis qu’à l’ignorance. La satire, telle que l’avait comprise André Chénier, telle que la comprend M. Barbier, se déploie librement dans les plus hautes régions de la poésie. Le vers proverbial du lyrique latin nous est pleinement expliqué ; nous comprenons l’iambe furieux d’Archiloque. Il y a plusieurs formes pour la satire, c’est au poète seul qu’il appartient de choisir entre ces formes de valeur diverse ; selon l’instinct de sa pensée, selon ses habitudes sociales, selon la trempe de son caractère, il se décide pour l’une ou pour l’autre. Personne n’a le droit de le chicaner sur le parti qu’il a pris ; le public et la critique n’ont à s’occuper que de l’œuvre accomplie. La déclamation, dans le sens le plus élevé du mot, peut atteindre jusqu’à l’éloquence. L’ironie, l’invective, le sarcasme, dans les mains d’un déclamateur vigoureux, peuvent devenir des armes terribles ; Juvénal est un exemple magnifique de la déclamation éloquente. La folie des vœux humains et le libertinage des femmes romaines ont été pour lui l’occasion de triomphes éclatans. Il a trouvé dans l’idiome latin des ressources inattendues ; il a aiguisé le langage avec tant de persévérance, il a