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pouvait voir la longue figure et l’air consterné de notre joyeux compagnon d’hier. L’effet secondaire a, chez lui, remplacé l’effet primitif. Le voilà en proie à la réaction mélancolique d’un trop bon dîner.

— Et comme la réaction est en raison de l’action, ajoutai-je, il paraît fort triste et mécontent.

— Il n’en prêchera qu’avec plus d’éloquence à ses paroissiens la modération et la sobriété ; il aura pour lui la logique et l’expérience dont nous parlions tout à l’heure.

— Mais ses paroissiens de Hirta peuvent-ils n’être pas sobres et modérés ?

— Vous avez raison, dit sir Thomas ; j’oubliais que nous étions à Hirta, et je me croyais à Glasgow.

— Nous y serons dans soixante-dix heures, si le vent est bon, dit le mécanicien qui venait à nous ; faut-il lâcher la bride à Kitty ?

— Soit, dit sir Thomas, et le quadrigium prit sa course du côté de l’entrée de la baie.

— Hurra ! fit sir Thomas en saluant en signe d’adieu le pauvre ministre, qui, debout sur le rivage, au milieu d’une demi-douzaine de ses paroissiens plus matineux que les autres, nous regardait partir d’un œil morne et rêveur, comme s’il eût regretté de ne pouvoir être du voyage.

— Hurra !… fit le ministre, essayant de secouer sa mélancolie.

— Hurra ! firent les insulaires.

Tels furent nos adieux à Hirta.

Trois jours après, vers le soir, nous nous promenions dans la Trongate de Glasgow, coudoyés par des milliers d’ouvriers, de marchands et de matelots, assourdis par le bruit des machines, aveuglés par la lumière du gaz, enfumés par la vapeur du charbon de terre. Nous avions retrouvé le pays des steamers et des rail-ways, des cruches d’ale et de porter, et des journaux gigantesques, le Manchester de l’Écosse, le sol classique de l’industrie et du bien-être.


Frédéric Mercey.