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quand bien même il aurait pris toutes les réserves imaginables, l’ambassadeur de France aurait encouragé, malgré lui, un espoir qui ne devait pas se réaliser ; on y aurait vu, malgré toutes ses protestations, la perspective d’un changement de politique, et son intervention aurait été plus funeste qu’avantageuse à la cause de la reine, et au peu d’influence que nous pouvons encore vouloir conserver dans les affaires d’Espagne.

Abandonnée à elle-même, car ce n’est pas non plus l’Angleterre qui lui a donné le moindre conseil au milieu de cette crise, la reine a pu remettre les modérés, les partisans du statut royal, en possession du ministère. Ils se sont présentés ; ils lui ont fait leurs propositions ; ils ont dit à quelles conditions ils prendraient les cartes dans un moment où la partie était si compromise, et pour peu qu’ils aient de sens, ils ont dû ajouter que même à ces conditions-là, ils n’étaient pas sûrs de la gagner. Or, voici leur programme : Considérer comme non-avenu tout ce qui s’était fait depuis la révolution de la Granja, dissoudre les cortès, en convoquer d’autres, ressusciter la chambre des proceres, et confier à la législature ainsi composée le soin d’élaborer une nouvelle constitution. C’était beaucoup à la fois ; la reine pensa que c’était trop, et remercia les modérés qui ne l’étaient guère dans leurs prétentions, pour nommer un ministère qui voulût bien prendre le pays, les hommes et les choses au point où tout cela en était, sans reculer d’un an, puisqu’aussi bien les conséquences de cette année, les faits accomplis, les revers essuyés, ne se pouvaient anéantir. Elle a cru, avec raison, que dans l’état actuel de l’Espagne les questions constitutionnelles n’avaient aucune importance, que le plus pressant n’était pas de rétablir la chambre des proceres, mais de rendre quelque confiance à l’armée, de tranquilliser certaines provinces sur leurs intérêts industriels, d’éloigner les carlistes de Madrid, et de trouver de l’argent, si c’était possible. D’ailleurs la reine a dû penser que le parti modéré n’était pas à craindre, qu’il lui suffirait de ne plus voir M. Mendizabal aux affaires pour se rallier au gouvernement, et qu’il serait toujours temps de l’y faire entrer, si la chute du ministère de la Granja n’était pas le signal d’un nouveau soulèvement.

Nous savons que bien des gens, qui se croient de profonds politiques, haussent les épaules à chaque nouvelle qui arrive d’Espagne, et se croient dispensés d’en rien prendre au sérieux. Pour nous, c’est une indifférence que nous ne comprendrons jamais. Il faut, hélas ! quoi qu’on en ait, prendre au sérieux tout ce qui se passe en Espagne. Qui que nous soyons, nous y sommes intéressés malgré nous, et c’est en vain que les évènemens semblent tendre à nous dégoûter de l’Espagne, à en détacher nos esprits et nos yeux, c’est toujours une question française ; c’est toujours, sous un double point de vue, une question de prépondérance ou d’humiliation pour notre politique ; c’est la robe de Nessus attachée à nos flancs, quelques efforts que nous ayons faits pour la secouer, depuis que la reine d’Espagne a reçu d’un envoyé français, le lendemain de la mort de Ferdinand VII, le solennel témoignage de l’intérêt que lui portait la France.