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CRITIQUES ET MORALISTES FRANÇAIS.

Chénier dans l’idylle comme agrandissant le genre de Léonard et de Berquin !! Léonard n’est pas le Racan du dix-huitième siècle ; la belle pièce de la Retraite maintient à une haute distance la mémoire de Racan. Dorat peut être dit l’héritier direct de Benserade, mais il ne l’est pas de Voiture, qui était d’une qualité et d’une saillie d’esprit bien supérieure, et qui eut grande influence ; Dorat ne compta jamais. — En un mot, dans le tableau de ce dernier tiers du xviiie siècle, les proportions véritables ne sont pas assez gardées ; la nomenclature l’emporte un peu sur le vrai classement ; trop de noms se pressent sous la plume de l’auteur, et paraissent admis à une place que quelques-uns seuls tenaient réellement.

Je lui reprocherai aussi plutôt, dans sa longue note sur les contemporains de l’empire, sa complaisance d’admission pour quelques noms sans valeur, que dans ses dernières pages la méfiance, pleine de motifs, qu’il témoigne pour les promesses orageuses de la littérature présente.

Quoiqu’il ait écrit des vers dans sa jeunesse et qu’il ait tout ce qu’il faut pour les sentir, M. Vinet est plus prosateur que poète, même dans ses jugemens. Tout ce qui se rapporte à la propriété, à la précision, à la sagacité, est souverain chez lui ; la hardiesse, si elle s’y rencontre, est toujours étroitement adaptée, la métaphore est juste à l’usage ; mais ne lui demandez pas la grande flamme : il la gardera. Il pénètre souvent, mais ne dévore jamais : rien chez lui ne rappelle Rousseau. Sa science de langue, de synonymie et de cœur, va souvent à l’éloquence d’onction ou de pensée, mais ne s’envole pas volontiers aux grandes choses d’imagination. Dès qu’on en vient là, il hésite un peu, il parle des maîtres de la lyre et s’y replie scrupuleusement. S’il fallait chercher quelque représentant de la poésie du pays de Vaud, de cette poésie que Rousseau a vue dans les lieux, et qu’il a contestée aux habitans ; que quelques-uns, que plusieurs nourrissent pourtant avec culte ; il faudrait se tourner à côté, vers cette jeunesse de Lausanne qui s’essaie encore, feuilleter ce recueil des Deux Voix dans lequel je puis désigner la pièce du Sapin, entre autres, comme franche impression des hautes cimes, s’adresser à la conversation de quelques hommes, comme M. le pasteur Manuel, qui se sont plus dirigés à l’étude qu’à la production, et qui, pieux et modérés, savent et sentent, en face de leur lac et de leurs montagnes, toute vraie poésie depuis les chœurs de Sophocle jusqu’aux pages de Mme de Staël. M. Vinet, d’une manière moins éparse heureusement, représente et réalise, en écrivain de premier ordre, tout l’autre côté de prose in-