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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

vois-tu pas que Bianchini a imaginé cette méchante ruse pour te faire manquer la bague ? Il mérite d’être châtié. Mais si tu abandonnes tes compagnons, si tu attristes la fête par ton absence, les Bianchini vont triompher. Il est aisé de comprendre qu’ils ont tout fait pour cela, afin de se venger de leur expulsion. Allons, maître, viens reconduire la petite reine et faire le tour des quais avec la musique ; la compagnie ne peut se promener sans son chef. À l’heure des vêpres, nous chercherons messer Francesco.

— Mais où peut-il être ? dit Valerio en joignant les mains. Qui sait ce qu’on peut avoir imaginé pour le faire jeter en prison !

— En prison ! c’est impossible, maître ; de quel droit et sur quel prétexte ? Jette-t-on un homme en prison sur le premier propos venu ?

— Et cependant il n’est pas ici. Il faut qu’une raison bien grave le retienne. Il sait que je ne puis être heureux à cette fête sans lui, et quoiqu’il n’aime pas les fêtes, il me devait bien cette marque de complaisance, cette récompense de mon travail. Il faut que nos ennemis l’aient attiré dans une embûche, assassiné peut-être ! Vincent Bianchini est capable de tout.

— Maître, ta raison est malade ; pour l’amour du ciel ! reviens parmi nous. Vois, notre phalange découragée se disperse, et si nous ne prenons notre revanche à la régate de ce soir, les Bianchini crieront si haut, qu’il ne sera question demain dans tout Venise que du grand fiasco de la compagnie du Lézard.

Valerio se laissa un peu rassurer par la pensée que Francesco avait pu aller voir son père et être retenu par lui. La bizarrerie et la sévérité du vieux Zuccato autorisaient jusqu’à un certain point cette supposition, et le regard mécontent qu’il avait jeté sur Valerio pouvait faire croire à celui-ci qu’il était venu là pour le blâmer. Il tenta donc de rejoindre son père dans la foule, sauf à essuyer ces amers quolibets dont, malgré sa tendresse pour ses fils, le vieillard était prodigue. Mais il ne put parvenir à le trouver. D’ailleurs, entouré par ses compagnons mécontens, il fut forcé, pour ne pas les voir tout-à-fait se débander et renoncer à leur joyeuse journée, de marcher à leur tête sur la grande rive du canal Saint-George, aujourd’hui le quai des Esclavons.

Le son animé des instrumens, la gaieté un peu fière et maligne de la petite Marietta, que quatre compagnons portaient dans une sorte de palanquin élégamment décoré de fleurs, de banderolles et d’arabesques arrangées par Valerio, l’admiration de tout le peuple des