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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/673

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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

sinat et pour émission de fausse monnaie ! Voilà le fruit de mes labeurs, voilà la récompense de mon courage ! Soyez donc artiste consciencieux ; usez dans les soucis rongeurs et dans les études exténuantes les restes d’une vie souffrante et menacée ; renoncez aux séductions de l’amour, aux enivremens du plaisir, au repos voluptueux des nuits de printemps ; et le jour où vous croirez avoir mérité une couronne, on vous chargera de fers, on vous couvrira de honte ! Et ce public aveugle et léger, qui a tant de peine à saluer la vérité, toujours il ouvre les bras à la calomnie ! Sois-en sûr, Valerio, à l’heure qu’il est, ce peuple qui m’a vu, depuis le jour de ma naissance, grandir et vivre dans l’amour du travail, dans la haine de l’injustice et dans le respect des lois, ce peuple, qui ne juge des consciences humaines que par les revers ou les succès de la fortune, sois en sûr, il m’accuse déjà depuis dix minutes qu’il me sait en prison. Il lui suffit d’apprendre que je suis malheureux pour me croire coupable. Déjà il ne distingue plus mon nom de celui de Vincent Bianchini ; tous deux nous avons été accusés, tous deux nous avons courbé la tête sous les plombs. Je serai peut-être mis en liberté, parce que je suis innocent ; mais n’a-t-il pas été mis en liberté, lui qui était coupable ? Qui sait si, comme lui, je ne serai pas banni ? Venise ne bannit-elle pas tous ceux qu’elle soupçonne ? et ne soupçonne-t-elle pas tous ceux qu’on lui dénonce ?

Valerio sentait que la douleur de son frère n’était que trop fondée, et qu’en essayant de le réconcilier avec sa situation, il ne l’amenait qu’à en apprécier de plus en plus la rigueur et le danger. Il se mit en devoir de sortir vers le soir pour lui aller chercher des alimens et un manteau ; mais lorsqu’il appela le geôlier par le guichet de la porte, celui-ci vint lui dire qu’il avait reçu l’ordre de ne plus le laisser sortir, et lui montra même un papier revêtu du sceau des inquisiteurs d’état, qui ordonnait l’arrestation des deux frères Zuccati, sans exprimer en vertu de quelle prévention. Un cri de douleur s’échappa de la poitrine de Francesco en écoutant cet arrêt.

— Voici, dit-il, qui achève de me tuer. Les bourreaux ! ne pouvaient-ils se défaire de moi sans m’infliger la torture de voir souffrir mon frère ?

— Ne me plains pas, répondit Valerio, ils ne m’eussent peut-être pas permis de passer les jours et les nuits près de toi ; maintenant, je les remercie, je ne te quitterai plus.

Bien des jours et bien des nuits s’écoulèrent sans que les frères Zuccati reçussent aucun éclaircissement sur leur position, aucun