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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

le Bozza s’y serait attendu. L’argent leur était encore plus cher que la louange, et la froideur des peintres à leur égard, lors du dernier examen, leur avait laissé de grandes craintes pour l’avenir. Ils acceptèrent donc l’offre du Bozza, et consentirent même à lui donner d’avance dix ducats. Aussitôt il courut acheter, avec la moitié de cette somme, une belle chaîne qu’il envoya aux Zuccati, et que Francesco passa au cou de son frère sans savoir de quelle part elle venait. De tous côtés on se mit au travail avec ardeur. Mais Francesco, un instant ranimé par l’espérance, compta trop sur ses forces, et, repris par la fièvre au bout de quelques jours, fut obligé d’interrompre son œuvre, et de surveiller de son lit les travaux de son école.

xxii.

Cette rechute causa un si vif chagrin à Valerio, qu’il faillit abandonner son travail et se retirer du concours. L’état de Francesco était grave, et les angoisses d’esprit qu’il éprouvait à l’aspect de son chef-d’œuvre commencé et interrompu, augmentaient encore ses souffrances physiques. Ces angoisses s’aggravèrent lorsque la femme de Ceccato vint lui dire étourdiment qu’elle avait vu en passant le Bozza dans l’atelier des Bianchini. Ce trait d’ingratitude lui parut si noir, qu’il en pleura d’indignation, et qu’il eut un redoublement de fièvre. Valerio, le voyant si tourmenté, prétendit que la Nina s’était trompée, et qu’il allait s’en assurer par lui-même. Il ne pouvait croire en effet à tant d’insensibilité de la part d’un homme avec qui, malgré beaucoup de griefs, il avait partagé ses dernières ressources. Il courut à San-Fantino où était situé l’atelier des Bianchini, et il vit, par la porte entrouverte, le Bozza occupé à diriger le jeune Antonio. Il le fit demander, et l’ayant emmené à quelque distance, il lui reprocha vivement sa conduite.

— En vous voyant partir précipitamment l’autre jour, lui dit-il, j’avais bien compris qu’au premier espoir de succès personnel, vos anciens amis vous deviendraient étrangers ; je reconnaissais bien là l’égoïsme de l’artiste, et mon frère cherchait à l’excuser en disant que la soif de la gloire est une passion si impérieuse, que tout se tait devant elle ; mais entre l’égoïsme et la méchanceté, entre l’ingratitude et la perfidie, il y a une distance que je ne croyais pas vous voir franchir si lestement. Honneur à vous, Bartolomeo ! vous m’avez donné une cuisante leçon, et vous m’avez fait douter de la sainte puissance des bienfaits.