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mande une indulgence coupable ? Nous n’en voudrions pas, en supposant que nous pussions l’obtenir de vous.

— Tu me parais si découragé, mon pauvre Valerio, et tu as un si énorme travail à faire, si ton frère ne se rétablit pas promptement, qu’en vérité je suis effrayé de la position où tu te trouves. D’ailleurs, Francesco malade, votre école existe-t-elle ? Tu es un maître habile ; tu es doué d’une facilité merveilleuse, et l’inspiration semble venir au-devant de toi. Mais n’as-tu pas toujours tourné le dos à la gloire ? n’es-tu pas insensible aux applaudissemens de la foule ? ne préfères-tu pas les enivremens du plaisir, ou le dolce far niente, aux titres, aux richesses et aux louanges ? Tu es un homme admirablement doué, mon jeune maître. Ton intelligence pourrait se plier à tout et triompher de tout ; mais il ne faut pas se le dissimuler, tu n’es point un artiste. Tu dédaignes la lutte, tu méprises l’enjeu, tu es trop désintéressé pour descendre dans l’arène. Le Bozza, avec la centième partie de ton génie, arrivera encore à tout par l’ambition, par la persévérance, par la dureté de cœur.

— Maître, vous avez peut-être raison, dit Valerio, qui avait écouté ce discours d’un air rêveur. Je vous remercie de m’avoir exprimé vos craintes ; elles sont l’effet d’une tendre sollicitude, et je les trouve trop bien fondées ; cependant, maître, il faudra voir ! Adieu ! En parlant ainsi, Valerio, suivant l’usage du temps et du pays, baisa la main de l’illustre maître, et franchit légèrement le Rialto.

xxiii.

Valerio bouleversa tout en rentrant dans son atelier. Il marchait avec feu, parlait haut, fredonnait d’un air sombre le refrain d’une joyeuse chanson de table, disait d’un air tendre des paroles dures, brisait ses outils, raillait ses élèves, et s’approchant du lit de son frère, il l’embrassait avec passion en lui disant d’un air moitié fou, moitié inspiré : « Va, sois tranquille, Checo, tu guériras, tu auras le grand prix, nous présenterons un chef-d’œuvre au concours ; va, va ! rien n’est perdu, la muse n’est pas encore remontée aux cieux. » Francesco le regarda d’un air étonné.

— Qu’as-tu donc ? lui dit-il ; tout ce que tu dis est étrange. Qu’est-il donc arrivé ? T’es-tu pris de querelle avec quelqu’un ? as-tu rencontré les Bianchini ?

— Explique-toi, maître, dis-nous ce qui s’est passé, ajouta Marini. Si j’en crois quelques propos que j’ai entendus malgré moi ce