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Barbare aux yeux bleus, aux blonds cheveux, et lui recommande en vrai style de madrigal d’y mêler les lis et les roses :

Puniceas confunde rosas et lilia misce.

À cette époque se rapportent ses poésies de courtisan, ses petits impromptus sur les évènemens du jour, sur un cerf mis à mort, à la chasse, par un des empereurs, ou sur tel autre fait de cette importance. C’est alors aussi qu’il composa son ouvrage le plus considérable, son poème descriptif de la Moselle, sur lequel je reviendrai, et un autre ouvrage que je ne puis qu’indiquer ici, et dont lui-même nous apprend l’origine. L’empereur Valentinien avait composé un centon nuptial, et il proposa à Ausone de lutter avec lui dans ce genre de compilation licencieuse. Ausone décrit assez naïvement l’embarras où il se trouva, entre la vanité qui lui faisait désirer le succès, et la prudence qui le lui faisait craindre :

« Conçois, écrit-il au rhéteur Paul, combien cela était délicat pour moi. Je ne voulais ni surpasser, ni être surpassé ; car si j’étais vaincu, on m’accusait de ridicule adulation, et le triomphe était une insolence. J’ai donc accepté en paraissant vouloir refuser ; malgré le danger, j’ai eu le bonheur de rester en grace. J’ai vaincu sans offenser. »

C’est un symptôme assez fâcheux de la moralité de ce temps, qu’une lutte poétique engagée sur de tels sujets, entre un empereur chrétien et le précepteur de son fils ; le tout entremêlé de petites habiletés assez peu dignes, et qui semblent bien glorieuses à celui qui les raconte.

De la cour de Trèves, le précepteur impérial écrivait à différens rhéteurs ; l’un d’eux, nommé Théon, était un ancien ami d’Ausone qui n’avait pas fait fortune comme lui, et qui adressait au rhéteur courtisan de petits cadeaux et de petits vers, dont Ausone se moquait avec assez peu d’esprit et de bonté. Ce pauvre Théon lui avait envoyé des oranges pour accompagner ses complimens poétiques ; Ausone lui répond par un calembour railleur, sur ses vers de plomb et ses pommes d’or, et en retour lui expédie des énigmes versifiées que nous ne chercherons pas à deviner, et une épître d’une obscurité affectée, sur les huîtres et les moules, qu’il avait écrite dans le feu de sa première jeunesse, et qu’il retouchait dans la maturité de l’âge. Il emploie dans cette correspondance littéraire, destinée à éblouir un bel esprit de province de l’éclat d’un pédant de cour, les périphrases les plus forcées et les plus bizarres. Les lettres sont les noires filles de Cad-