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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/72

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une fois engagé dans cette voie, le poète se condamne à des oublis nombreux, à des injustices involontaires. Pourquoi Michel-Ange sans Ghiberti et Donatello ? Pourquoi Cimarosa sans Palestrina ? Pourquoi Titien sans Paul Véronèse ? Puisque chacun de ces hommes illustres représente une face, un moment de l’art italien, et que chacun de ces momens appartient tantôt à une ville, tantôt à une autre, n’eût-il pas été simple et naturel de rattacher Raphaël et Michel-Ange à Rome, Titien et le Véronèse à Venise ? Il me semble que cette méthode, en éliminant les sonnets, n’aurait pu qu’ajouter à la valeur générale du Pianto. M. Barbier, par un caprice bien excusable, a préféré la forme du sonnet, et a écrit sur les grands artistes de l’Italie des hymnes très purs et d’une rare élégance. Notre admiration pour ces rubis d’une si belle eau, et si parfaitement taillés, ne nous permet pas d’insister sur le reproche que nous lui adressons ; mais nous croyons que ce reproche est fondé. Nous ne pensons pas que la fantaisie doive régner en souveraine, même dans le domaine de la poésie ; l’invention poétique, aussi bien que l’enseignement scientifique, est soumise à des lois impérieuses ; quelle que soit la beauté d’un morceau pris en lui-même, si, au lieu de concourir à l’effet général, il distrait l’attention et obscurcit le sens de l’œuvre où il est placé il est utile d’avertir l’inventeur qu’il s’est trompé, qu’il a manqué aux lois de l’ordonnance. Il ne faut pardonner de pareilles fautes qu’aux écoliers.

Si l’on se demande à quel genre appartient il Pianto, on reconnaît sans peine que c’est un poème élégiaque. Cette question, sans doute, n’a qu’une médiocre importance ; mais cependant il n’est pas hors de propos de la formuler, car c’est le moyen d’apprécier plus nettement le mérite général du poème. Les tons divers que nous avons signalés dans les quatre parties du Pianto se succèdent sans se contredire, et n’altèrent pas le caractère élégiaque. Dans le cimetière de Pise comme dans la campagne romaine, sous le ciel napolitain comme dans les lagunes de Venise, le poète n’a qu’une seule et même pensée : l’opposition d’hier et d’aujourd’hui, de la grandeur et de l’abaissement. Cette pensée, il l’a poursuivie avec une persévérance et une habileté qui prouvera aux plus incrédules toute la souplesse de son talent. Par cette grande élégie sur l’Italie il a montré que toute sa destinée poétique n’était pas renfermée dans la satire. Pour notre part, nous n’avons jamais cru que les facultés humaines fussent condamnées irrévocablement à l’accomplissement d’une tâche unique ; cette croyance n’est favorable qu’à la paresse. Il est bon que chacun,