Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/730

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
726
REVUE DES DEUX MONDES.

d’écorce, loin des deux bords, là où l’image de la colline se confond avec le fleuve et où le fleuve confine à la limite des ombres. »

Cette traduction, que j’ai faite aussi littérale qu’il m’a été possible, est loin de reproduire le caractère vague et voilé du morceau original. Ce sont des vers maniérés, mais charmans.

L’art de décrire les petits objets, les actions familières, cet art où excellent les poètes descriptifs modernes, est déjà dans Ausone, leur contemporain en poésie, si l’on peut dire ainsi. Je prends pour exemple la Pêche à la ligne de Thompson, imitée par Delille :

Le pêcheur patient prend son poste sans bruit, etc.

Voici maintenant Ausone décrivant un enfant penché sur les ondes : « Il abaisse l’extrémité infléchie de sa ligne, et jette les hameçons qui portent les amorces mortelles. Après que la troupe vagabonde des poissons, ignorant cette ruse, les a saisies avidement, et que leurs gosiers béans ont senti profondément la tardive blessure du fer caché, ils palpitent, et aussitôt leur mouvement se manifeste. La ligne s’inclinant suit les tremblemens répétés de leur agonie ; soudain l’enfant enlève obliquement sa prise en frappant l’air d’une secousse rapide. »

L’attitude du pêcheur attentif qui suit les frémissemens de la ligne, puis le mouvement de la main qui la retire, sont parfaitement rendus.

Cette coupe imitative de la prestesse du mouvement :

Et excussam stridenti verbere prædam
Dexterâ in obliquum raptat puer,


est excellente. C’est du Delille tout pur et du meilleur.

Je ne m’arrêterai pas à plusieurs sortes de tours de force poétiques dans lesquels Ausone a essayé et, on peut le dire, égaré son talent : des amphigouris (inconnexa), des vers terminés par un monosyllabe qui commence le vers suivant :

Res hominum fragiles alit et regit et perimit fors,
Fors dubia æternumque labens.

Au xvie siècle, on s’est livré à des puérilités tout-à-fait pareilles. Ainsi, à l’aurore de la littérature moderne, on imitait les bizarreries au sein desquelles la littérature antique s’était perdue.

Les rapports de la poésie d’Ausone à la poésie moderne ne se bornent pas à ceux que j’ai indiqués. On y trouve encore la galanterie