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de Lazare comme les pièces d’un recueil lyrique. M. Barbier, en écrivant les Iambes et le Pianto, c’est-à-dire en produisant sous la forme poétique ce qu’il pense de la France et de l’Italie, avait choisi le moule de la satire, puis le moule de l’élégie ; en écrivant sur l’Angleterre, il a entremêlé habilement l’ode, la satire et l’élégie. La pièce sur Londres est d’une signification assez vraie, mais je regrette que cette pièce manque à la fois de développement et de clarté. Les comparaisons ne sont pas toujours heureuses ; quelques-unes, loin de présenter la pensée de l’auteur sous une face nouvelle et de la commenter, auraient besoin d’être expliquées. Sans doute, Londres est triste, même dans ses quartiers les plus opulens, même dans ses parcs si vantés ; mais la tristesse de la ville est moins dans les briques de ses maisons que dans l’attitude et la démarche de ses habitans. L’élégance fastueuse de quelques familles ne suffit pas pour animer les rues d’une ville habitée par douze cent mille ames, et l’industrie, si active qu’elle soit, est plus bruyante que gaie. L’accroissement de la richesse est une application légitime de la volonté humaine ; mais lorsque l’immense majorité d’un peuple dévoue toutes ses forces à la pratique de la seule industrie, l’homme est envahi par la chose, ou plutôt passe lui-même à l’état de chose, et c’est à l’effacement de la personne humaine qu’il faut rapporter la tristesse de Londres. Je sais très bien que cette idée, telle que je la présente, n’a par elle-même rien de poétique ; mais je la tiens pour vraie, et je ne doute pas qu’il ne fût possible à M. Barbier de la rendre, acceptable. Bedlam vaut mieux que le tableau de Londres ; l’auteur, au lieu de s’arrêter à la surface du sujet, s’est résolu sagement à peindre l’idée suscitée par la folie plutôt que la folie elle-même. Çà et là il y a bien trace d’un amour immodéré pour la réalité visible ; mais, en général, le poète s’attache de préférence à chercher, à montrer l’origine des maux qu’il contemple. La poésie, ainsi comprise, est à nos yeux la seule poésie vraie, la seule qui mérite d’être discutée ; Bedlam eût été, pour l’école réaliste, l’occasion d’une amplification indéfinie ; M. Barbier s’est abstenu de l’amplification, et nous lui savons gré de la sobriété avec laquelle il a peint les grimaces, les cris et les mouvemens tragiques ou burlesques dont Bedlam est chaque jour témoin. Il a plongé son regard au fond de la folie, et sous les flots tumultueux de cette énigme terrible il a lu, en toutes lettres, les deux syllabes du mot orgueil. Sans doute cette explication ne comprend pas toutes les formes de la folie, mais nous croyons que dans le plus grand nombre des cas la science se trouve d’accord avec la poésie.