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et jolie ; une quantité prodigieuse de coton a remplacé les céréales ; enfin le ciel semble moins pur, et les pluies sont plus fréquentes. Des souvenirs militaires attendaient le maréchal à Chebrêrys, où l’armée d’Égypte se trouva la première fois en face des Mamelouks : puis il alla visiter les ruines de l’ancienne Saïs, située dans le Delta, dont Champollion a singulièrement exagéré la grandeur et la beauté ; mais il n’avait pas encore vu Thèbes et les pyramides.

Le Nil n’est plus un dieu pour les Égyptiens actuels ; mais, sans en faire une divinité, ils le mettent au-dessus de tout, car il est pour eux le principe de toute vie et de toute fécondité : leur bonheur est de parcourir ses eaux avec un vent favorable, ou de vivre sur ses rives, dans son voisinage. Les paysans demandaient aux Français que Bonaparte conduisit en Égypte s’il n’y avait pas de Nil en France. On leur répondait : « Nous en avons cinquante. » Alors ils répliquaient « Qu’êtes-vous donc venus faire ici ? » C’est ce grand fleuve, que les Arabes appellent la mer, dont Méhémet-Ali veut se rendre maître, et dont il veut régler les mouvemens et les irrigations.

Le barrage du Nil est un problème à résoudre dont les conditions sont : 1o  d’arroser, en tout temps, trois millions huit cent mille feddams de terrain ; 2o  d’alimenter, au moment des crues, les grands bassins d’inondation situés dans l’intérieur, depuis le Caire jusqu’à la mer ; 3o  de conserver la navigation dans les deux branches du Nil. Tel est le but que doit atteindre le plus grand travail hydraulique que les anciens et les modernes se soient encore proposé. Les plans sont dressés ; un Français, M. Linan, assisté d’autres Français, a rédigé le projet et doit présider à son exécution. La nature permettra-t-elle à l’homme tant de gloire et un si éclatant triomphe sur elle-même ?

Arrivé au Vieux-Caire, le maréchal fut reçu par Soliman-Pacha, Français dont le nom est Selves, né à Lyon, et qui avait servi sous ses ordres. Selves commença sa vie par être marin ; puis il passa dans l’armée de terre, servit dans le 6e  de hussards sous le colonel Pajol, fit, comme officier, la campagne de Russie, remplit pendant la retraite les fonctions d’officier d’ordonnance du maréchal Ney, fut, en 1814, remarqué par l’empereur, était en 1815 attaché à l’état major du maréchal Grouchy, et comme il ne put entrer dans la garde royale, il quitta la France en 1817 pour se rendre en Perse ; mais en traversant l’Égypte, il y fut retenu par Méhémet-Ali. Il a fait des Orientaux des troupes régulières, et par la pratique il est devenu lui-même un homme supérieur. Il a deviné la grande guerre ; il parle le turc et l’arabe avec facilité ; voilà un officier de fortune qui fait