Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/770

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
766
REVUE DES DEUX MONDES.

l’expédition de Constantine nous satisfait-elle dans l’intérêt de notre prépondérance en Afrique, persuadés comme nous le sommes que le gouvernement n’a rien négligé pour la faire réussir.

Nous aurons en effet, dans la province de Constantine, vingt mille hommes disponibles, tant pour l’expédition que pour l’occupation des points intermédiaires entre Constantine et Bone, et pour la défense de cette dernière place. Tous les préparatifs sont faits sur une grande échelle et dans de larges proportions. Le ministère, qui les avait poussés très loin pendant les négociations, les a complétés depuis la rupture. L’armée ne sera plus exposée, comme l’année dernière, à manquer de vivres ; un matériel considérable est accumulé à Bone, à Guelma, au camp de Medjz-Hammar, et l’artillerie sera commandée par le premier des généraux de cette arme, le lieutenant-général Vallée.

Au reste, il n’y a rien de trop dans toutes ces mesures. Ce n’est pas à un méprisable ennemi qu’on doit avoir affaire, et à moins que les habitans, fatigués de la tyrannie d’Achmet, ne nous en ouvrent les portes, Constantine ne sera pas enlevée d’un coup de main. Achmet y a fait de grands travaux ; ses redoutables alliés, les Cabaïles, lui sont restés fidèles, et peut-être la population arabe, incertaine sur nos intentions pour l’avenir, n’osera-t-elle se déclarer pour nous. Mais au moins le bey de Constantine en sera réduit à ses propres ressources et à celles de la province dont il est maître, sans recevoir du dehors un appui matériel et moral qui aurait doublé ses forces. La position prise à Tunis par l’escadre française aux ordres du contre-amiral Gallois, préviendra toute tentative de débarquement de la part des Turcs, et tout changement préjudiciable à nos intérêts sur la frontière orientale de la régence ; car ce n’est pas seulement contre les Arabes d’Abd-el-Kader et les Cabaïles d’Achmet que nous avons à défendre notre conquête, mais encore contre la Porte ottomane, qui renouvelle ses protestations à chaque instant et ne perd pas une occasion de revendiquer ses prétendus droits.

L’année dernière, un peu avant la chute du ministère de M. Thiers, une démonstration était devenue nécessaire pour protéger notre allié, le bey de Tunis, et empêcher quelque folle entreprise de la Porte sur l’ancienne régence d’Alger. On devait croire que, suffisamment avertie par cette épreuve, la Porte s’abstiendrait d’un nouvel essai de ses forces, et ne nous demanderait pas une seconde leçon. Et cependant elle a encore une fois cédé à de perfides conseils, et forcé le gouvernement français, son allié, à prendre contre elle la résolution éventuelle d’un nouveau Navarin, s’il le fallait. C’était pourtant une bien dure extrémité que celle-là, et c’eût été une rude atteinte portée au système de statu quo et d’immobilité, qui, est dans les affaires d’Orient, celui de l’Angleterre et de la France. Pour nous, en applaudissant à l’énergie de la résolution, nous aurions vu avec peine que l’exécution en devint nécessaire, et nous préférons de beaucoup que la seule attitude prise par la France ait conjuré un double danger.

Si nous avions pu conserver quelques doutes sur l’influence dont émanait le projet de la Porte, un article récent de la Gazette d’Augsbourg les aurait levés. Dans cet article, qui porte un cachet tout russe, et ne s’adresse qu’aux aveugles passions du divan, on cherche à mettre en contradiction les actes et le langage des deux cabinets qui surveillent et gênent le plus les ambitieux projets de la Russie en orient. On fait observer que ces deux cabinets ont, à plusieurs reprises, empêché le sultan de rétablir son autorité en