doit un jour les réunir. Que l’industrie, exclusivement occupée à multiplier la valeur des choses par la transformation et le déplacement, proscrive les rêveurs comme inutiles, et n’assigne aucune limite à la puissance humaine, c’est un préjugé facile à constater ; que les poètes redoutent l’industrie qu’ils n’ont pas étudiée et qui ne les comprend pas, c’est un fait non moins évident. Si ces craintes avaient besoin d’être réfutées, l’Angleterre elle-même, qui semble personnifier l’industrie, et dont toute la conduite depuis les premiers voyages de Walter Raleigh se réduit en apparence à des spéculations de comptoir, qui signe et déchire les traités pour agrandir ses ateliers, brûler sa houille et vendre son acier, l’Angleterre nous fournirait un argument victorieux. Car tandis qu’elle employait les séances de son parlement à discuter la concession des chemins de fer, la poésie anglaise continuait son œuvre avec autant d’éclat et de bonheur que dans l’enfance de l’industrie. Il n’est donc pas au pouvoir de l’homme d’agrandir une de ses facultés au point d’étouffer toutes les autres. Qu’il se propose l’utilité, et que pour l’atteindre, il abaisse les montagnes et enferme les fleuves, il ne lui sera jamais donné d’accroître sa richesse sans appeler la science à son aide. Or, la science ne peut continuer à se développer sans ouvrir à l’imagination de nouvelles perspectives ; c’est-à-dire que l’industrie, la science et la poésie, qui représentent des facultés diverses, sont assurées de la même durée que ces facultés. Cette vérité que nous exprimons sous la forme dialectique, M. Barbier l’a rendue dans un admirable dialogue.
Cependant, malgré toutes les belles pièces que j’ai distinguées dans Lazare, et le nombre de celles que je viens d’analyser équivaut à la moitié du poème, je ne puis m’empêcher de préférer le Pianto à Lazare. Les parties recommandables de ce dernier recueil se peuvent comparer au Pianto ; mais il manque au poème de Lazare un élément indispensable, un élément sans lequel il n’y a pas de véritable poème : cet élément, c’est l’unité. Pour que Lazare fût un poème et non pas un recueil, il eût fallu que M. Barbier réunît autour d’une pensée centrale toutes les pensées successives que nous avons essayé de caractériser ; il eût fallu, par exemple, que l’industrie gouvernât toutes ces pensées comme l’essieu gouverne les rayons d’une roue. M. Barbier, en négligeant de satisfaire à cette condition impérieuse, s’est privé certainement d’une partie du succès qu’il méritait. Les meilleures parties de Lazare n’ont pas été appréciées à leur valeur, parce que la disposition de ces parties est évi-