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de la couronne, aux seigneurs grands donataires, aux prieurés des ordres militaires, et même aux chefs des ordres religieux dans leurs domaines respectifs[1]. C’est ainsi qu’il y a quelques années à peine, et comme aux jours de Jean Ier, le général des moines de Saint-Bernard nommait à l’une des corrégidoreries du royaume, celle d’Alcobaça, et à tous les siéges des villas comprises dans son ressort.

Ces corrégidors, dont les attributions s’étendent sur des circonscriptions fort irrégulières (et nous pouvons encore, à cet égard, parler au présent), sont assistés de chambres municipales nommées d’après le même mode par le seigneur exerçant la juridiction territoriale. Ils sont en même temps le premier échelon de l’autorité administrative et judiciaire. Ces magistrats sont également chargés de la perception de l’impôt, et leurs opérations étaient si peu contrôlées de temps immémorial, que la plus grande partie des revenus de l’état, en proie à la plus honteuse dilapidation, ne rentrait que par abonnement annuel, dont les bases étaient arbitrairement fixées par les comptables. On comprend quelle devait être la puissance de fonctionnaires dépositaires de la plénitude du pouvoir administratif, judiciaire et financier, et quelles résistances les familles en possession quasi-héréditaire de ces fonctions locales ont dû apporter à des innovations dirigées contre elles-mêmes.

S’étonnera-t-on qu’en un pays où la bourgeoisie est peu nombreuse, où elle ne s’est élevée et ne se maintient qu’à l’ombre de la noblesse dont elle fait les affaires, et sous le nom de laquelle elle exerce des charges si despotiques et si lucratives ; s’étonnera-t-on que cette bourgeoisie soit assez peu disposée à échanger les profits réels d’une situation subordonnée contre des droits politiques dont elle ne se sent guère en mesure de profiter ? Combien de siècles les gens du tiers n’ont-ils pas été en France intendans et procureurs fiscaux de la noblesse, avant de se proclamer la nation à l’Assemblée constituante ! Aussi, est-ce dans cette classe, autant au moins que dans la haute aristocratie, que don Miguel a trouvé concours. Les cortès

  1. Le régime municipal subit, en Portugal, des vicissitudes analogues à celles qu’il a traversées dans toute l’Europe méridionale. Emmanuel lui porta les premiers coups ; Jean III, qui, à l’exemple de Ferdinand et d’Isabelle, réunit à la couronne les grandes maîtrises d’Avis, de Saint-Jacques et du Christ, continua ces empiétemens. Mais l’ensemble s’en est maintenu jusqu’à l’invasion de don Pedro, et a créé dans toute la magistrature, sans exception, une opposition énergique aux tentatives constitutionnelles dont les cortès actuelles de 1837, toutes constituantes qu’elles soient, sont loin d’avoir triomphé. On peut consulter avec fruit, sur l’organisation administrative du Portugal, l’ouvrage de M. Balbi, le dictionnaire de M. Mignano, le livre de M. J. Liberato Freyre de Carvalho, etc.