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REVUE. — CHRONIQUE.

Telle qu’on l’a publiée jusqu’ici, il manque cependant quelque chose à cette liste de nouveaux pairs, et ce quelque chose, nous le dirons pour être justes avec tout le monde : ce sont deux ou trois noms anciens, éclatans, et qui appartiennent, sous le rapport de la fortune, du rang, de l’influence, à la classe supérieure de la société française, noms libéraux, bien entendu, et qui, tout aristocratiques qu’ils soient, ne sonnent pas mal à des oreilles de juillet. Les conseils généraux de département n’en auraient-ils pas indiqué quelques-uns, si on avait voulu les y chercher, et M. Molé n’est-il pas l’homme du monde le plus propre à introduire avec discernement et mesure, dans le gouvernement de son pays, un peu de cette aristocratie du sein de laquelle il sort, et dont il allie noblement les traditions à celles de la France nouvelle, révolutionnaire et roturière ?

La politique extérieure de cette quinzaine nous offrira aussi son petit scandale : c’est un incident assez grave par lui-même, mais qui l’est devenu beaucoup plus encore par toutes les circonstances qui s’y rattachent, la publication inusitée d’une correspondance diplomatique très confidentielle entre M. Rudhart, ministre des affaires étrangères de Grèce, et M. Lyons, envoyé d’Angleterre auprès du roi Othon. Cette correspondance se rapporte à l’expulsion d’un réfugié italien, nommé Emilio Usiglio, du territoire grec, malgré la protection d’un passeport anglais, qui n’a pu le défendre des rigueurs de M. Rudhart, fidèle instrument d’une politique à laquelle la Grèce pouvait fort bien éviter de s’associer. Nous avons dit scandale, et c’en est bien un, car cette correspondance a pleinement révélé, ex abrupto, ce qui était encore un secret pour le plus grand nombre des observateurs politiques en dehors des coulisses, l’influence toute nouvelle que le cabinet de Vienne a réussi à se ménager en Grèce et le mécontentement que l’Angleterre en éprouve. L’établissement de l’influence autrichienne en Grèce est un fait d’autant plus remarquable, que l’Autriche n’est pas au nombre des puissances protectrices de l’état grec, qu’elle n’a contribué en rien au triomphe de l’indépendance et de la nationalité helléniques sur l’oppression musulmane ; qu’elle a, au contraire, vu avec beaucoup de peine ce nouvel affaiblissement de l’empire turc, et que, sauf la guerre contre la Russie, elle avait tout fait pour le prévenir. Mais une fois l’évènement accompli, une fois cet élément introduit dans la balance politique, l’Autriche s’est résignée, et aussitôt elle a cherché à tirer parti de ce qu’elle n’avait pu empocher. Elle est, nous croyons, la première des grandes puissances qui ait conclu avec la Grèce un traité de commerce ; le service de bateaux à vapeur qu’elle a organisé à Trieste s’est rattaché à cette politique et en a secondé le développement. Et voilà maintenant qu’un ministre anglais accuse M. de Rudhart de mettre à la suite du cabinet de Vienne le gouvernement dont il dirige les affaires extérieures, de recevoir des instructions de M. de Metternich, d’avoir pris des engagemens particuliers envers l’Autriche, sans l’assentiment des puissances protectrices, et de subordonner à ses vues toute la politique du nouveau royaume !

Si ces accusations sont fondées (et nous ne doutons pas de l’influence ac-