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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/13

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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

doutes, ne pas délaisser les principes arborés dans certaines crises, même si ces principes n’ont été au commencement que des impressions ou des espérances téméraires que l’impatience a converties en doctrines de gouvernement ; ne pas manquer aux ames simples qu’on y a engagées et qui y persévèrent et s’y exaltent ; étouffer son bon sens de ses propres mains, et, au besoin, appeler froidement sur sa vie ou sur sa liberté des périls inutiles et prématurés, pour ne pas faire douter de soi ; voilà à quel prix on est le chef agréé d’une opinion en guerre ouverte avec un gouvernement établi ; voilà ce qu’il faut savoir faire à toute heure, et avec beaucoup de bonne grace, en outre, pour que ceux qui le reconnaissent pour chef le lui pardonnent, et avec un talent si hors de toute portée que nul amour-propre, dans le parti qu’il représente, n’ose s’y égaler. Pendant plus de quatre années, sauf quelque relâchement vers la fin, soit par lassitude, soit dégoût de ces discordes intérieures par lesquelles les partis font scandale de leur défaite, Carrel ne manqua pas un moment à ce rôle. Il n’entraîna jamais que ceux qu’il était résolu à suivre, et, en certaines occasions où l’impulsion n’avait pas été donnée par lui, mais malgré lui, il se mit à la tête de ceux qu’il n’avait pas commandés. Le même homme qui, dans les circonstances ordinaires, souffrait modestement qu’on lui disputât le titre de chef de l’opinion républicaine, s’en emparait dans le danger, comme d’un signe où les coups pussent le reconnaître de loin. Il faisait comme un général porté rapidement, par son courage et ses talens, au premier grade de l’armée : il se laissait contester dans les chuchottemens jaloux de la caserne, sauf à prendre, dans une affaire désespérée, le commandement en chef, du droit du plus courageux et du plus habile. Personne ne porta plus loin que Carrel le dévouement du chef à l’armée. Loin de donner des doutes à ceux qu’il avait associés à ses espérances, il les y entretenait encore après les avoir perdues. À défaut d’une ardeur qu’il ne pouvait plus avoir, il les échauffait par un danger qu’il était toujours maître de courir. C’est ainsi qu’après avoir attiré successivement sur quatre gérans du National des condamnations à la prison, il provoqua lui-même, par des articles froidement calculés pour tomber sous la loi, son emprisonnement à Sainte-Pélagie. Il ne voulut pas être en reste de sacrifices avec ses amis.

Quand il avait rempli son devoir de chef de parti avec cette force de volonté et ce stoïcisme d’autant plus beau que le stoïcien n’était souvent qu’un sceptique, Carrel aimait à se délasser en se livrant librement à toutes les opinions, à tous les doutes. Il se plaisait à faire