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DU POUVOIR EN FRANCE.

révolutionnaire contre l’idée bourgeoise était suivie de la lutte de celle-ci contre une autre idée politique. L’élément doctrinaire et l’élément bourgeois se firent contre-poids pendant quatre ans au sein du pouvoir et dans les chambres, l’un s’appuyant sur des individualités éminentes, l’autre sur des instincts nombreux. Ces idées, incarnées dans deux hommes, se balancèrent bientôt à ce point, qu’on vit le pouvoir dans la déplorable nécessité de rechercher, avec grand soin, toutes les nullités politiques, dont l’avènement à la présidence du conseil maintiendrait, quelques jours de plus, cette anarchie patente, prolongée par les incertitudes de la chambre.

La chambre hésitait, en effet, et nous devons essayer de dire pourquoi. Il y avait en M. Guizot des qualités dont la majorité ne pouvait se résoudre à se passer, quoiqu’il fût chef de l’école doctrinaire. Il y avait en M. Thiers des instincts qui l’inquiétaient sérieusement, encore qu’il appartînt à l’école bourgeoise.

Le parti doctrinaire s’est abusé sur la nature et les conditions de sa véritable importance. Répétons-le, ses déductions politiques, qui toutes présupposent un pouvoir fort et une constitution bien assise, n’allaient pas au tempérament mobile d’un pays où les formules légales ont peu de valeur, où la royauté doit subir, après la vieille opposition des chansons, celle des controverses théoriques ; ses tendances à constituer un néo-centre droit, parti gouvernemental dont la formation était sans cesse invoquée par ses organes périodiques, avec plus de violence que de précision, ne pouvaient manquer de donner à penser. Mais des considérations d’un autre ordre triomphaient souvent de ces impressions, et venaient rejeter la conscience de la chambre dans d’honorables perplexités.

Ces noms avaient un vernis de science et de probité que la presse, dans toute la violence de sa polémique, n’avait pas essayé de ternir. Ici, c’était une inflexibilité de gentilhomme, qui ne transigeait pas plus sur les principes que les maréchaux de France, ses ancêtres, ne transigeaient sur l’honneur ; là une vie de persévérance et de hautes études, un sanctuaire domestique trop souvent frappé de la foudre ; c’étaient, ailleurs, de jeunes et spirituelles renommées, des spécialités laborieuses et austères. Jusqu’au 6 septembre, le prestige était entier, les réputations aussi étaient entières, car, parmi ces hommes politiques, les uns n’avaient pas encore traversé la difficile épreuve du pouvoir, les autres ne l’avaient pas exercé en leur seul nom et sous leur seule responsabilité. Ils n’avaient pas eu jusqu’alors à contenir ces dévouemens qui perdent toutes les causes ; ils n’avaient pas