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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/220

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REVUE DES DEUX MONDES.

de la dépense une couche épaisse de cendres, et le lendemain de grand matin on vint pour y chercher l’empreinte des pieds du voleur.

— On ne trouvera rien, disaient, en arrivant, ceux des moines qui avaient proposé quelque autre stratagème ; le voleur aura eu vent du piége, il ne sera pas venu cette nuit.

Il était venu cependant, comme on le reconnut dès que la porte fut ouverte, et même il avait laissé de nombreuses traces de son passage. Mais ces traces, d’abord, ne firent que redoubler la perplexité. Confinées dans un petit espace et n’atteignant nulle part jusqu’aux murailles, elles ne pouvaient mettre sur la piste du ravisseur. Cependant, en les examinant de près, on y trouva quelque choses d’assez significatif. Le pied qui les avait laissées avait bien la forme d’un pied humain, mais il était évidemment terminé par des griffes aiguës ; en outre, on remarquait en plusieurs points une traînée ondoyante qui marquait sur le sol le passage d’une longue queue.

Tout cela semblait n’indiquer que trop clairement quel était le véritable auteur du désordre ; aussi, craignant de le voir soudainement apparaître au milieu d’eux, tous les moines s’esquivèrent successivement. L’abbé, retenu par le sentiment de sa dignité, ne fit retraite que le dernier ; mais, en quittant ce lieu, il était si peu disposé à en affronter de nouveau les terreurs, qu’il allait donner ordre de faire murer la porte lorsqu’on vint lui annoncer qu’un des frères demandait la permission de passer la nuit dans cet antre du démon.

Le moine qui s’offrait ainsi n’avait pas dans tout le couvent un seul homme qui prît intérêt à lui et cherchât à le détourner d’une aussi téméraire entreprise. Frère Anselme, c’est ainsi qu’on le nommait, était redouté des jeunes à cause de la sévérité de ses manières, haï des vieux à cause de l’indépendance de ses opinions et de l’inflexibilité de son caractère. Or, justement un des points sur lesquels il se montrait le moins traitable était relatif à l’action de Satan sur les créatures, action qui, suivant lui, ne pouvait avoir rien de matériel, l’esprit malin ayant, disait-il, depuis la mort du Sauveur, perdu le pouvoir de revêtir un corps. Après force discussions dans lesquelles il avait eu souvent l’avantage, car il était subtil dialecticien, on avait été contraint de lui ordonner de se taire ; mais les rumeurs répandues dans la ville ayant de nouveau fait soulever la question, il n’avait pu se contenir, et en punition de quelques paroles indiscrètes l’abbé l’avait confiné pour un mois dans sa cellule.

Il n’avait pas encore accompli toute sa pénitence lorsqu’eut lieu la visite dont nous venons de parler, mais il ne tarda pas à être instruit