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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/247

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REVUE. — CHRONIQUE.

tacle a coûté fort cher ; le territoire des colonies militaires en souffrira beaucoup par suite des énormes réquisitions de chevaux, de bois, de matériel de toute espèce, dont on a frappé les populations, et qui ont arrêté sur un grand nombre de points les travaux de l’agriculture. Nous n’ajoutons pas une foi entière aux récits que l’on a faits de l’enlèvement des jeunes Polonaises, et des scènes sanglantes auxquelles il aurait donné lieu ; mais nous ne croyons pas qu’un despotisme aussi vigoureusement organisé que celui de la Russie soit très scrupuleux sur les moyens d’accomplir l’objet présent, quel qu’il puisse être. Cet objet, depuis que le village de Wossnesensk avait été choisi pour une grande et pompeuse représentation militaire, était d’y accumuler, pour un état-major nombreux, pour la suite de l’empereur, pour la maison de l’impératrice, pour les princes et généraux étrangers invités à s’y rendre, non-seulement toutes les nécessités de la vie, mais toutes les somptuosités d’une longue et immense fête. Aussi a-t-on dépouillé fort loin à la ronde, et surtout, dit-on, dans l’ancienne Pologne, les domaines et les châteaux séquestrés, des meubles, de la vaisselle, des serviteurs, de tout l’attirail enfin qu’il fallait concentrer à Wossnesensk, pour y exercer pendant quinze jours une large et fastueuse hospitalité. Il est vrai que les princes et généraux allemands, invités à ces grandioses solennités militaires, n’ont pas cherché à savoir ce qu’elles coûtaient au trésor impérial, et si, pour leur donner tant d’éclat, l’action d’un despotisme irrésistible ne s’était pas fait sentir un peu plus durement aux populations. Ils rentrent maintenant dans leurs habitudes modestes, émerveillés et éblouis ; c’est à peine s’ils commencent à s’apercevoir de la fatigue du voyage, et à se demander, en comparant les déserts incultes qu’ils ont traversés avec l’abondance et le luxe qu’ils ont trouvés à Wossnesensk, s’il n’y a pas quelque charlatanisme dans toutes ces pompes. Néanmoins, c’est un mot que l’on murmure tout bas en Allemagne à l’occasion de ces revues si multipliées ; et qui sait ? peut-être ceux-là même que l’empereur y convie, sont-ils les premiers à le prononcer au retour. Les princes sont si ingrats !

Quoiqu’il en soit, l’empereur de Russie est déjà bien loin du théâtre de sa gloire. Il veut aller à Tiflis, dans les provinces transcaucasiennes, et nous connaissons tels de ses fidèles serviteurs qui ont craint un instant qu’il ne s’obstinât à traverser l’Abasie, au risque de s’y faire enlever par un parti de ces audacieux et indomptables Tcherkesses. Quand l’empereur aura visité Tiflis, s’il étend jusque-là son voyage, il reviendra passer quelques mois à Moscou, pour remplir la promesse qu’il a faite aux habitans de cette ancienne capitale, centre et foyer de la nationalité russe. Les provinces transcaucasiennes se plaignent vivement du régime militaire auquel elles sont soumises ; l’empereur y aura été précédé du sénateur Hann, chargé de la mission d’étudier leurs besoins et leurs intérêts. Il pourra donc se faire un mérite de quelques mesures faciles à prendre en leur faveur, et rattacher au souvenir de sa présence l’accomplissement de quelques-uns de leurs vœux ; car si l’empereur Nicolas donne beaucoup à l’ostentation, il y a aussi de la vraie grandeur dans sa personne comme dans son gouvernement, comme dans les gigantesques progrès de son empire. Cette cavalerie, cette armée puissante, dont il a le tort de vouloir effrayer l’Europe, elles existent dans la réalité de leur force ; et la marine russe, dont on parle moins, ne cesse de s’accroître et de se perfectionner. Il n’y a pas encore deux mois qu’on a lancé