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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/273

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LES DEUX MAÎTRESSES.

n’avait pas de servante, sortit pour préparer son dîner. C’était l’instant qu’attendait le jeune homme, il tira donc de nouveau son portrait, et tenta sa seconde épreuve. La veuve n’avait pas grande finesse ; elle ne se reconnut pas, et Valentin, un peu confus, se vit obligé de lui expliquer que c’était elle qu’il avait voulu faire. Elle en parut d’abord étonnée, puis enchantée, et croyant simplement que c’était un cadeau que Valentin lui offrait, elle alla décrocher un petit cadre de bois blanc à la cheminée, en ôta un affreux portrait de Napoléon qui y jaunissait depuis 1810, et se disposa à y mettre le sien. Valentin commença par la laisser faire ; il ne pouvait se résoudre à gâter ce mouvement de joie naïve. Cependant l’idée que Mme de Parnes lui redemanderait sans doute son dessin, le chagrinait visiblement ; Mme Delaunay, qui s’en aperçut, crut avoir commis une indiscrétion ; elle s’arrêta, embarrassée, tenant son cadre et ne sachant qu’en faire. Valentin, qui, de son côté, sentait qu’il avait fait une sottise en montrant ce portrait qu’il ne voulait pas donner, cherchait en vain à sortir d’embarras. Après quelques instans de gêne et d’hésitation, le cadre et le papier restèrent sur la table, à côté du Napoléon détrôné, et Mme Delaunay reprit son ouvrage.

— Je voudrais, dit enfin Valentin, qu’avant de vous laisser cette petite ébauche, il me fût permis d’en faire une copie.

— Je crois que je ne suis qu’une étourdie, répondit la veuve. Gardez ce dessin qui vous appartient, si vous y attachez quelque prix. Je ne suppose pourtant pas que votre intention soit de le mettre dans votre chambre ni de le montrer à vos amis ?

— Certainement non ; mais c’est pour moi que je l’ai fait, et je ne voudrais pas le perdre entièrement.

— À quoi pourra-t-il vous servir, puisque vous m’assurez que vous ne le montrerez pas ?

— Il me servira à vous voir, madame, et à parler quelquefois à votre image de ce que je n’ose vous dire à vous-même.

Quoique cette phrase à la rigueur ne fût qu’une galanterie, le ton dont elle était prononcée fit lever les yeux à la veuve. Elle jeta sur le jeune homme un regard, non pas sévère, mais sérieux ; ce regard troubla Valentin, déjà ému de ses propres paroles ; il roula l’esquisse et allait la remettre dans sa poche, quand Mme Delaunay se leva et la lui prit des mains d’un air de raillerie timide. Il se mit à rire, et à son tour, s’empara lestement du papier.

— Et de quel droit, madame, m’ôteriez-vous ma propriété ? Est-ce que cela ne m’appartient pas ?