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LES CÉSARS.

maines ; et quand quelque sénateur hardi, vieux ou pauvre, proposait des lois contre le luxe, l’approuvant en théorie avec des restrictions dans la pratique. Quant aux provinces, les soulageant, diminuant les impôts, surveillant les préfets ; ne faisant rien pour la seule armée dont les légions étaient loin, dispersées au nord et à l’est, séparées les unes des autres par des déserts, et que par conséquent il ne craignait pas.

Je ne sais pourquoi cela ne dura point. C’est peut-être parce que Tibère n’était pas seulement effrayé du sénat, du peuple, des provinces et de l’armée, mais que, plus que tout cela, il y eut toujours un homme que ce grand trembleur craignit par-dessus tout : je veux dire son successeur. Le successeur de Tibère fut toujours son ennemi, et, par compensation, l’ami et l’idole du peuple. Auguste était à peine mort, que son petit-fils Agrippa avait été tué en prison. Le nouvel empereur protesta qu’il n’était pour rien dans cette mort, et on n’en parla plus. Mais après Agrippa vint un autre rival, Germanicus, le neveu de Tibère, qui, un peu malgré lui, en avait fait son fils adoptif. Nous venons de dire comment les soldats avaient voulu le créer César ; Tibère en eut tellement peur, qu’au commencement de son règne il se fit malade pour que Germanicus prît patience.

Je ne veux pas suivre cette histoire dans tous ses détails ; vous savez, par les admirables mémoires de Tacite, ce qui arriva à Germanicus. La bonne fortune de Tibère l’en délivra au moment où il devenait effrayant de popularité, où, bien venu des soldats et du peuple, il faisait un voyage triomphal dans les provinces et avait conquis la faveur de l’Orient. Le pauvre peuple, qui, comme tout le monde alors, avait l’intime sentiment de sa faiblesse, tomba en consternation à la perte de cet homme. C’était un ami de la liberté ; c’était, comme Marcellus, comme le premier Drusus, un martyr du noble et impossible projet de rétablir la république. Le peuple, fou de douleur, qui comprenait Tibère à travers sa dissimulation et sentait ce qu’il allait être, délivré de la crainte respectueuse que lui inspirait son neveu, passait la nuit à lui crier : « Rends-nous Germanicus ! »

Germanicus mort, Rome ne demandait pas mieux que d’avoir une autre idole, Tibère un autre épouvantail. Cette fois, le présomptif successeur était Drusus, le fils même de Tibère, à qui le peuple eût volontiers pardonné, pour les beaux spectacles qu’il lui donnait, les goûts un peu sanguinaires qu’il commençait à manifester ; mais Drusus ne se souciait pas du rôle de Germanicus, et vivait de plaisir.