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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/465

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SOCIALISTES MODERNES.

formes de l’organisation sociétaire y sont tellement enveloppées dans la critique, qu’elles ne s’en dégagent pas encore d’une manière suffisamment nette, suffisamment précise.

Ce qui frappe le plus un lecteur ordinaire, dans ce livre comme dans tous les livres de Fourier, c’est la puissance des études, et l’étendue des lectures qu’ils supposent. Fourier touche à toutes les sciences, exactes ou naturelles, avec autorité, avec supériorité ; il touche à la littérature par une foule de citations ingénieuses, à l’histoire par les preuves qu’il y puise, à l’industrie par des observations pleines de portée et de sens ; aux mathématiques par les déductions sévères qu’il leur emprunte, à la philosophie par un système d’agression constante qui témoigne clairement qu’il l’a interrogée sous tous ses aspects. Et pourtant celui qui a ainsi parcouru, comme en se jouant, le cercle de nos connaissances, pour s’en isoler ensuite et les déclarer vaines, ce penseur, cet inventeur, est un simple commis marchand qui n’ose pas signer son nom, et qui ne livre au public que son prénom Charles, en se déclarant prêt à répondre à toutes les objections qu’on lui adressera. Hélas ! peu d’objections lui parvinrent. Charles n’eut que de rares lecteurs, et presque tous sans doute le prirent pour un visionnaire.

Fourier ne s’était pas fait illusion sur le sort de son œuvre ; il connaissait les hommes, comme sa vie entière l’a prouvé ; mais sachant mieux qu’un autre que sa théorie glisserait sur les intelligences ordinaires, il espérait que tôt ou tard elle frapperait l’attention d’un homme riche ou puissant, d’un banquier ou d’un grand seigneur, qui le sait ? peut-être d’un roi. Ce qu’il fallait à Fourier, c’étaient moins des hommes sympathiques à ses idées, que les moyens de les réaliser ; il ne visait pas à fonder une école, mais il aspirait à une expérience. Il espérait que la magnificence des résultats, la beauté des solutions, leur rigueur mathématique, la pompe des plans, leur grandeur, leur utilité, détermineraient en sa faveur, ou une intervention fastueuse, ou une grande coopération financière. Il patientait ainsi, faisant peu de bruit, parce qu’il se croyait tous les jours à la veille d’une épreuve décisive. Ce fut là une des illusions de Fourier : Ni l’aristocratie de naissance, ni l’aristocratie d’argent, ne prirent garde aux merveilles semées dans son volume. D’ailleurs quel intérêt auraient-elles pu avoir, ces deux puissances, à changer le monde dans lequel on leur a fait une si belle part ? Elles y règnent ; que leur faut-il de plus ?

Après la Théorie des quatre mouvemens, Charles Fourier se tut pen-