Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
49
PUBLICISTES DE LA FRANCE.

pour une mauvaise cause. Il sauve ainsi la discipline sans absoudre les gouvernemens impopulaires. L’armée peut commander par sa manière d’obéir. J’admirerais moins cette vue dans un écrivain chez qui aucune partialité de compagnon d’armes ni aucun acte personnel à justifier ou à expliquer n’auraient troublé la spéculation pure. Mais je ne puis trop l’admirer dans un homme de 28 ans, écrivain faute d’être soldat, et qui n’avait cessé d’être soldat que pour avoir méconnu, dans un noble entraînement, ces vertus modestes dont il louait l’armée libératrice de 1823, et qu’il proposait pour exemples à toute armée engagée désormais comme elle dans une guerre qui blesserait ses opinions permises.

Cette impartialité que montre Carrel dans les idées principales de ce beau travail, il la conserve jusque dans ces faits de détails dont on sacrifie trop souvent la vérité soit à l’entraînement du jour soit à la verve de l’expression. Ainsi, en même temps qu’il juge, sans les insulter, ces zélés de l’armée libératrice, qui se croyaient de vrais croisés pour l’extermination des idées révolutionnaires, il loue, je n’ai pas besoin de dire sans flatterie, la modération et quelques actes de bon sens du duc d’Angoulême. Il défend la capacité du munitionnaire Ouvrard en homme qui apprécie les actes nonobstant la renommée, et peut-être en militaire qui savait gré à M. Ouvrard d’avoir assuré les vivres à ses compagnons d’armes.

Entre les deux articles sur la guerre de 1823 et la polémique à jamais mémorable du National, Carrel publia quelques écrits politiques et littéraires. On les compte, car, de ce jour-là, rien de médiocre ne sortit de sa plume. Un article sur la mort d’Alphonse Rabbe, un autre sur le suicide du pauvre et intéressant Sautelet, sont comme deux jets nouveaux de ce talent si profond. Le morceau sur Sautelet, en particulier, a des pages admirables où un vague sentiment religieux, réveillé par cette perte douloureuse, semble vouloir disputer l’ame de l’ami défunt à des habitudes de scepticisme voltairien. Dans un genre différent, l’Essai sur la vie et les écrits de Paul-Louis Courier montre ce même talent, si mélancolique dans les regrets sur la mort de Sautelet, devenant subtil et délié pour analyser un écrivain original, et pour faire aimer un homme médiocrement aimable. Enfin, deux articles sur les drames de la nouvelle école, auxquels le défaut d’habitude de ces matières donne je ne sais quelle grâce que n’auraient pas les mêmes pensées, sous la plume d’un critique spécial, témoignent du grand goût que portent en toutes choses les hommes supérieurs. Dans ces divers