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sans contradiction ses facultés actives, soit que la discussion sans espoir l’eût à la fin dégoûté, quel honneur n’eût-il pas fait à la France en se résignant à n’être qu’historien ! Il y pensait déjà ; il tâchait de s’y accoutumer, et ses amis ne le virent pas sans douceur se retirer peu à peu de cette polémique étouffante où il languissait depuis les lois de septembre, et se préparer à écrire l’histoire de Napoléon. Déjà il y avait mis la main, une main scrupuleuse et timide, malgré sa belle réputation d’écrivain. Il relisait les grands historiens, et éprouvait dans la conversation la justesse de ses principales vues. Étudier cette grande vie, suivre Napoléon dans ses courses à travers l’Europe, et, après s’être fatigué à le suivre, le contempler dans ces haltes d’un jour où il fondait la plus grande administration et la législation la plus sensée du monde moderne, eût été le seul apaisement de cette belle et inquiète intelligence. Qui pouvait mieux que Carrel écrire l’histoire de Napoléon ?

On prête à M. le duc d’Orléans un mot sur la mort de Carrel, où j’admire plus qu’une générosité de bon goût. « C’est, aurait dit le prince royal, une perte pour tout le monde. » Le mot est noble et d’un grand sens. N’y a-t-il pas, en effet, plus de danger pour les royautés, dans un pays libre, à être délivrées de pareils ennemis qu’à avoir sans cesse à leur faire face et à les réduire par la force de la modération et par le bon accord avec le pays ?

Quand M. le duc d’Orléans régnera, comme il n’est guère possible, dans un pays profondément démocratique, qu’un roi n’ait des ennemis, je lui en souhaite du talent et du caractère de Carrel, et surtout qu’il soit dit, pour l’honneur de son règne, qu’une si noble voix y aura été libre.


Nisard.
Juillet 1837.