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Seul, à minuit, sur une grande route, il frappe à la porte d’une cabane isolée et demande un guide pour atteindre la ville prochaine qui est à trois lieues de là. Or, cette cabane est tout simplement un coupe-gorge. Alice se dévoue au salut de l’étranger, car Alice est la fille du brigand à qui appartient la cabane. Forcée au silence par la présence de son père, elle essaie, par sa pantomime, d’apprendre à Ernest Maltravers que Darvil a résolu de le tuer. Elle réussit à le sauver, le rejoint sur la grande route, lui demande asile et protection, devient sa pupille, puis sa maîtresse. Le début de cet épisode semble écrit pour le boulevart ; mais l’éducation d’Alice et le développement simultané de l’amour et du sentiment religieux sont racontés par l’auteur avec une grace et une simplicité remarquables. Rappelé près de son père, Ernest abandonne Alice, et lorsqu’il revient avec l’espérance de la retrouver, elle a disparu. La maison qu’elle habitait a été pillée par Darvil et ses compagnons, et le brigand a enlevé sa fille dans le dessein de la vendre au premier libertin qui voudra l’acheter. Elle s’échappe, elle devient mère, elle mendie pour nourrir son enfant, et arrive couverte de haillons devant la grille de la maison où elle a connu l’amour et le bonheur. Ernest n’y est plus, et les nouveaux maîtres de la maison ne répondent aux questions d’Alice que par une pitié dédaigneuse. Enfin elle rencontre sur sa route une dame charitable qui s’intéresse à elle, et qui lui ouvre sa maison. Bientôt Alice tire parti de ses talens, et donne des leçons de musique. Tout à coup Darvil reparaît pour rançonner Alice. Un honnête vieillard intervient et force le brigand à déguerpir moyennant une pension annuelle de cent guinées. Darvil se montre docile et se retire. Mais il a résolu de se venger dans la huitaine, et en effet il rencontre sur la grande route, la nuit, à quelques lieues de la ville, le protecteur d’Alice, sexagénaire très peu ingambe, qui périrait sans l’arrivée d’un détachement de cavalerie chargé d’arrêter Darvil. Le père d’Alice est tué d’un coup de pistolet. Est-il possible, je le demande, d’inventer un mélodrame plus vulgaire et plus niais ? Tout ce qu’il y a de poétique et de vrai dans l’amour d’Alice et d’Ernest disparaît dans cet océan de trivialités. Enfin Alice se marie avec un homme qui pourrait être son grand-père, et devient Mrs Templeton, puis lady Vargrave ; car son mari est anobli par ordonnance royale, en récompense des services qu’il a rendus au ministère dans le maniement des élections. Je dois ajouter, pour éloigner d’Alice le reproche d’inconstance, qu’elle ne s’est mariée qu’après avoir entendu de ses oreilles, dans une chambre