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nemi d’Ernest. Le poète célèbre prend bientôt en dégoût la gloire littéraire, ou plutôt la poésie ne lui suffit plus, et il sent qu’il est appelé à réformer, à élargir, à compléter les lois de son pays. Il entre au parlement, et en qualité d’homme supérieur, il ne prend parti ni pour ni contre le ministère ; il dédaigne les discussions spéciales qui ne conviennent qu’aux légistes, aux financiers, aux administrateurs, aux hommes de guerre. Il n’aime que les discussions générales qui s’adressent au monde entier, et qui n’éclairent personne. Il prononce des discours très beaux et très inutiles. M. Bulwer ne nous dit pas si le libraire d’Ernest a recueilli les harangues de l’illustre orateur, mais nous sommes en droit de le supposer ; car, puisque le poète homme d’état, estimé de tous les partis, c’est-à-dire dédaigné par tous les partis, ne joue aucun rôle actif dans la chambre des communes, il a dû naturellement se consoler en publiant sur vélin les vertueuses homélies qui n’avaient converti personne. La gloire poétique et politique d’Ernest éveille l’admiration et la sympathie de Florence Lascelles, fille de lord Saxingham, l’un des membres du cabinet. Mais Lumley Ferrers, qui convoite la main de l’héritière, appelle à son aide la haine de Castruccio Cæsarini.

Castruccio écrit des vers amoureux sur l’album de Florence, et se croit aimé d’elle. Il ne pense pas qu’elle puisse voir d’un œil indifférent un homme tel que lui, qui a de si longs cheveux et qui écrit de si beaux sonnets. Un jour il s’enhardit, et lui dit en prose ce qu’il lui a dit en vers plus de cent fois. Florence, qui acceptait les sonnets de Castruccio, trouve fort impertinente la déclaration qu’il lui adresse de vive voix, et lui défend de reparaître dans le salon de lord Saxingham. D’après le conseil, ou plutôt sous la dictée de Lumley, Castruccio écrit à Ernest pour lui demander ce qu’il pense du caractère de Florence et des garanties de bonheur qu’elle offrirait à son mari. Ernest, qui ne sait pas encore que Florence et son Égérie ne sont qu’une seule et même personne, et qui, d’ailleurs, est plein du souvenir d’Alice et de Valérie, répond franchement à Castruccio que Florence lui paraît plus digne d’admiration que d’amour. Dès que le mariage d’Ernest et de Florence est arrêté, Lumley songe à tirer parti de cette lettre, et voici comme il s’y prend. Il change la date, et substitue mon à votre mariage en deux passages, de telle sorte qu’Ernest a l’air de douter de son propre bonheur, et non du bonheur de Castruccio. Le malheureux poète, qui ne peut pardonner à l’Angleterre d’avoir laissé ses poèmes dans le magasin de son libraire, et qui veut châtier cette ingratitude dans la personne d’Ernest, se prête lâchement à la falsi-