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DE L’ART RELIGIEUX EN FRANCE.

sont servi des sujets religieux que pour populariser la victoire de la chair sur l’esprit, Fra Angelico avec Titien, Giotto avec les Carraches, Van-Eyck avec Rubens, et le pur et pieux Raphaël du Sposalizio et de la Dispute du Saint-Sacrement avec ce Raphaël dégénéré qui n’avait plus pour modèle que la boulangère dont il avait fait sa maîtresse.

Mais n’accusons pas seulement le clergé français ; celui d’Italie et d’Espagne a été aussi loin que lui : celui d’Allemagne a été plus loin encore, mais il a le bon esprit de sentir aujourd’hui son erreur, et de revenir avec empressement aux types chrétiens[1]. N’accusons pas même le clergé en général, si ce n’est du tort d’avoir subi trop servilement le joug des artistes dégénérés qui ont brisé le fil de la tradition chrétienne ; et pendant long-temps il n’y en a point eu d’autres. Accusons surtout ces artistes et leurs successeurs, obligés par état d’étudier les différentes phases de l’art religieux, d’avoir volontairement répudié la beauté et la pureté des anciens modèles, pour affubler les sujets chrétiens d’un vêtement emprunté tour à tour à l’anatomie savante du paganisme, ou à la coquetterie débauchée au temps de Louis XV. Accusons les princes et les grands seigneurs des trois derniers siècles, qui n’ont eu que trop d’encouragemens pour ces sacriléges, et trop de galeries pour y déposer leurs produits. Nous n’oublierons jamais un tableau que nous avons vu à la galerie des anciens électeurs de Bavière à Schleissheim, près Munich, que nous citerons comme le type de ce que nous appelons le genre profanateur : c’est une Madeleine peinte par je ne sais plus quel peintre français du xviiie siècle ; cette Madeleine est nue et sans autre parure que ses cheveux, lesquels sont poudrés. Le guide vous dit d’un ton sentimental que l’artiste a eu sa femme pour modèle. Aujourd’hui on ne met plus de poudre aux Vierges et aux Madeleines, parce que ce n’est plus la mode ; mais on leur met des féronnières et des bandeaux, parce que l’on en voit aux femmes du monde, au-dessus desquelles la pensée du peintre n’a jamais su s’élever. On ne déshabille pas une sainte, parce qu’après tout on veut que son tableau puisse être acheté par le gouvernement pour telle ou telle église ; mais l’accoutrement qu’on lui donne, la tenue et le regard qu’on lui prête, ne sont guère plus décens ni plus édifians que la nudité complète de la Madeleine de Schleissheim.

L’antiquité païenne, que nous admirons volontiers chez elle et dans certaines limites, mais dont nous repoussons avec horreur l’influence sur nos mœurs et notre société chrétienne, l’antiquité était au moins conséquente dans les symboles qu’elle nous a laissés de ses dieux et de ses croyances. Ces symboles sont tout-à-fait d’accord avec les récits de ses prêtres et de ses

  1. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à visiter la cathédrale de Fribourg en Brisgau, à deux pas du Rhin. On y verra quel goût pur et excellent préside aux réparations et à l’entretien de cette magnifique et si complète église. Que si, en revenant, on passe par Strasbourg, et qu’on jette un coup d’œil sur le chœur de cette cathédrale, on verra quel abîme sépare la France de l’Allemagne sous le rapport de l’intelligence de l’art chrétien.