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rains et sans appel semblent s’être donné le mot pour étouffer, soit par un silence convenu, soit par des blâmes amers, tout ce qui porte l’empreinte d’une régénération religieuse dans l’art. En attaquant la juridiction de ce haut tribunal, nous avons besoin de répéter ce que nous avons dit en commençant, savoir : que nos observations et nos plaintes roulent uniquement sur la partie religieuse des différentes branches de l’art ; pour tout le reste, nous nous déclarons de nouveau tout-à-fait incompétent. Mais lorsqu’il s’agit de l’avenir d’un élément si essentiel et si intime de la forme religieuse, élément qui s’adresse, ou qui est censé du moins s’adresser aux masses catholiques, nous nous sentons le droit de protester selon la mesure de nos forces contre cette ligue mauvaise, dont les organes impitoyables sont campés dans les journaux les plus accrédités, et même dans ceux plus spécialement consacrés aux arts[1]. Si cette ligue devait triompher, c’en serait fait assurément de toute espèce d’école religieuse en France. Dès qu’un jeune homme montre dans ses œuvres quelque tendance à marcher dans une voie plus pure et plus rationnelle que celle qui lui est tracée à l’École des Beaux-Arts, ou par l’exemple des maîtres en vogue, ses œuvres et sa tendance sont aussitôt censurées avec l’animosité la plus cruelle. Le mot de pastiche lui est jeté avec un froid mépris, comme une flétrissure dont il ne doit jamais se relever. On lui impute comme un crime de copier servilement les écoles gothiques ; et ce reproche lui est fait par des hommes qui, à chaque ligne de leurs écrits, montrent l’ignorance la plus profonde de tout ce qui touche à ces malheureuses écoles gothiques ; par des hommes dont les paroles prouvent qu’ils n’ont jamais vu, ou du moins jamais regardé, un tableau de l’époque qu’ils voudraient mettre au ban de l’intelligence humaine ; par des hommes qui donnent chaque jour l’exemple de cette confusion historique que nous relevions plus haut comme très regrettable chez les ecclésiastiques, mais qui est bien autrement inexcusable chez ceux qui se sont investis du droit de régenter l’art passé, présent et à venir. Ils ne savent pas même distinguer entre leurs contemporains ; ils déclarent, avec la plus risible certitude, que M. Ingres et Overbeck suivent la même ligne ; ils vous disent que la Sainte Cécile de M. Delaroche rappelle le style gothique du Pérugin ; d’autres, à propos du même tableau, n’ont-ils pas été parler de Giotto et d’Orgagna, comme étant du xve et du xvie siècle ? Après quoi, dans la même phrase, ils accouplent adroitement deux ou trois de ces grands noms, pour asseoir sur eux un jugement tantôt méprisant, tantôt dédaigneusement protecteur, et établir des rapprochemens inouis entre des hommes qui n’ont jamais rien eu de commun entre eux, si ce n’est d’être également ignorés de ceux qui en parlent de la sorte. Et voilà les censeurs qui donnent ou ôtent à leur gré

  1. Nous devons faire une exception en faveur de l’Européen, recueil dont tous les articles en matière d’art sont dictés par une science profonde et le sentiment le plus pur des exigences de la pensée chrétienne.