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LA DERNIÈRE ALDINI.

Cette singulière assertion piqua ma curiosité. Il me sembla voir dans cette jeune fille un orgueil si bizarre et une dissimulation si consommée, que je me sentis entraîné tout d’un coup à risquer quelque folle aventure. Nous autres bohémiens, nous ne nous laissons pas beaucoup imposer par les usages du monde et par les lois de la convenance ; nous n’avons pas grand’peur d’être repoussés de ces théâtres particuliers où le monde à son tour pose devant nous, et où nous sentons si bien la supériorité de l’artiste, car là personne ne sait nous rendre les vives émotions que nous savons donner. Les salons nous ennuient et nous glacent, en retour de la chaleur et de la vie que nous y portons. J’abordai donc fièrement mes nobles hôtes, fort peu soucieux de la manière dont ils m’accueilleraient, et résolu à m’introduire dans la maison sous le premier prétexte venu. Je saluai gravement, et me donnai pour un accordeur d’instrumens qu’on avait envoyé chercher à Florence d’une maison de campagne dont j’affectai d’estropier le nom.

— Ce n’est point ici. Vous pouvez vous en aller, me répondit sèchement la signora. Mais en véritable fiancé le cousin vint à mon aide.

— Chère cousine, dit-il, votre piano est tout-à-fait discord ; si monsieur avait le temps d’y passer une heure, nous pourrions faire de la musique ce soir. Je vous en prie ! Est-ce que vous n’y consentirez pas ?

La jeune Grimani eut un méchant sourire sur les lèvres en répondant : — C’est comme il vous plaira, mon cousin.

Veut-elle se divertir de moi ou de lui ? pensai-je. Peut-être de tous les deux. Je m’inclinai légèrement en signe d’assentiment. Alors le cousin, avec une politesse nonchalante, me montra une porte de glaces au bout de l’avenue, qui, s’abaissant en berceau, cachait la façade de la villa.

— Voyez, monsieur, me dit-il, au fond du grand salon de compagnie, vous trouverez un salon d’études. Le forte-piano est là. J’aurai l’honneur de vous revoir quand vous aurez fini. — Et s’adressant à sa cousine ; Voulez-vous, lui dit-il, que nous allions jusqu’à la pièce d’eau ?

Je la vis encore sourire imperceptiblement, mais avec une joie concentrée de la mortification que j’éprouvais, tandis qu’elle me laissait aller d’un côté et continuait sa promenade en sens opposé, appuyée sur son gracieux et honorable cousin.

Ce n’est pas une chose bien difficile que d’accorder un piano, et quoique je ne l’eusse jamais essayé, je m’en tirai assez bien ; seu-