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de la raison. Je ne m’en tiens ici qu’aux points d’opposition, d’incompatibilité, intérieurs et nécessaires ; je ne descends pas aux détails si faits pour déconsidérer, compromettans détails de cette querelle pour la bulle qui sort d’ailleurs de mon sujet. Ce que je tiens à relever, c’est l’influence directe (bien que toute par contradiction) de Port-Royal sur la philosophie du siècle suivant. On peut, je crois, démontrer à la lettre que telle page de Nicole sur la réprobation engendra net par contre-coup telle page de Diderot sur l’indifférence en matière de dogme et contre le christianisme. Le rôle particulier de Port-Royal, dans le rapport du xviie au xviiie siècle, bien qu’il n’ait pas été du tout ce qu’on aurait pu espérer et désirer, fut très réel, et, en tant que négatif, fut grand.

v. — Littérairement, nous aurons moins à dire pour nous faire croire. Cette docte et sévère école qui, la première, appliqua aux langues et aux grammaires une méthode philosophique, une méthode générale et logique, tout ce qui se pouvait de plus lumineux et de plus vrai avant la méthode particulièrement historique et philologique de ces derniers temps, cette école de Port-Royal est encore plus célébrée qu’étudiée ; nous l’étudierons. — Hors de ligne, parmi les hommes qui font la gloire de notre littérature, nous trouvons là celui qui, avec Bossuet, et autrement que lui, et antérieurement à lui, domine le plus son siècle. Pascal, du sein de ce cadre de Port-Royal, se détache extrêmement. Il faut convenir même qu’il en sort et le dépasse un peu. D’autres, grands encore, ou bien remarquables, y tiennent tout entiers. Arnauld, Nicole, Duguet, et leurs semblables, voilà les vrais et purs port-royalistes. C’est assez pour la gloire durable de l’ensemble. L’originalité de Port-Royal, en effet, se voit moins dans tel ou tel de ses personnages ou de ses livres que dans leur ensemble même et dans l’esprit qui les forma. On a dit avec raison que, tout en imitant les anciens, le siècle de Louis XIV avait été lui-même, et que son originalité glorieuse consistait précisément dans ce mélange approprié. Boileau, plein de Perse, de Juvénal et d’Horace, est juste à la fois le poète moraliste et didactique de son moment. Racine, en croyant tout devoir à Euripide, fait une Phèdre que le christianisme d’Arnauld admire et pardonne. Eh bien ! l’on peut dire que la littérature entière de Port-Royal fut, à sa manière, l’une de ces imitations originales qui caractérisent le siècle de Louis XIV. Ce n’est plus Horace cette fois, ce n’est plus Euripide qu’il s’agit de reproduire ; ce n’est plus même le trésor éloquent de Chrysostôme, comme fera Bossuet. C’est la Thébaïde, le désert de Bethléem ou de