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POÈTES ET ROMANCIERS DU NORD.

obscurité. Quand je passai au pied de l’église, l’horloge sonna minuit. Dans le silence profond qui m’entourait, ces douze coups de marteau avaient un retentissement sinistre. Il me semblait entendre l’éternelle voix du Temps dans une ville de morts. Je m’en allai pas à pas à la découverte de l’auberge où je devais m’arrêter, et, pour la première fois de ma vie, je regrettai de ne pas rencontrer un de ces gardes de nuit dont la voix criarde et le chant monotone ont si souvent troublé pour moi, dans les villes du Nord, le calme d’une belle soirée, le repos d’une belle nuit. À tout instant, mon cheval fatigué glissait sur le pavé humide. L’enfant qui me servait de conducteur le prit par la bride, et nous arrivâmes à la porte d’une grande maison construite en poutres, couverte en planches. Il fallut frapper long-temps avant que le domestique vînt nous ouvrir ; car, dans ces paisibles habitations de la Suède, on n’attend plus personne passé neuf heures du soir, et l’arrivée d’un voyageur à minuit dérange singulièrement le cours ordinaire de la vie. On me conduisit dans une grande chambre froide. Un canapé servait de lit ; sur les murailles nues et nouvellement blanchies, l’artiste de la cité avait peint des bouquets de fleurs tels que jamais les botanistes n’en ont vu, et, sur le parquet, les domestiques avaient effeuillé des branches de sapin. Je trouvai tout cela magnifique, car, depuis mon départ de Copenhague, je n’avais pas acquis le droit d’être difficile, et je m’endormis avec la joie d’un homme qui est arrivé à son but. J’étais dans la ville épiscopale habitée par Tegner.

Le lendemain, je fus réveillé par une rumeur confuse qui me semblait annoncer quelque événement extraordinaire. C’était un jour de foire. Dans les contrées où les communications sont lentes et difficiles, les foires ont conservé leur première solennité. Dans le Nord, elles ont remplacé les anciennes réunions de l’Althing. Un jour de foire dans la capitale du district est une circonstance grave dont on parle long-temps avant qu’elle arrive et long-temps après. Ce jour-là, toutes les maisons dispersées à travers la forêt sont en mouvement ; le paysan part avec les bestiaux qu’il a élevés, ou la charrette chargée de seigle et de foin. Les parens qui vivent éloignés l’un de l’autre et ne se rencontrent jamais ni aux fêtes de leur village, ni à l’église de leur paroisse, se retrouvent ici à la porte d’un cabaret ou d’une maison de marchand. Ils se racontent leur histoire de quelques mois. Ils se disent leurs projets. S’ils ont eu quelque difficulté ensemble, la table de l’auberge avec ses flacons d’étain les invite à la réconciliation. S’ils ont un enfant à marier, ils parlent des belles paires de