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ont promis de lui donner leur sœur en mariage, et la jeune fille, qui se souvient de Frithiof, qui l’aime toujours, obéit à l’implacable volonté de ses frères. Quand le jeune guerrier arrive dans sa patrie, il apprend que Ingeborg est loin. Alors sa fureur ne connaît plus de bornes. Il s’élance au-devant de Helge, lui jette au visage le tribut qu’il a rapporté, le renverse par terre, brûle le temple de Balder, et s’embarque de nouveau. Cette fois, il est proscrit par toutes les lois du pays. Cette fois, il dit un adieu de douleur à son pays natal, aux lieux où il a vécu, où il a aimé. Il s’élance sur le vaste Océan ; il commence sa vie errante, sa vie de vikingr, tantôt luttant avec audace contre les autres vikingr qu’il rencontre sur les vagues, et tantôt descendant sur les côtes pour combattre toute une tribu et ravager toute une contrée.

De longs mois se passent dans cette vie d’orages et de périls. Il aborde sur le sol de la Grèce, sur cette terre bénie dont son père l’a souvent entretenu comme d’une contrée fabuleuse, où le ciel est toujours bleu, où l’air est embaumé par le parfum des fruits vermeils et des oranges d’or. Là, le souvenir de son amour le saisit tout à coup, et lui jette dans l’ame une amère tristesse. Il ne se sent plus nulle envie d’essayer la force de son bras et le poids de son glaive. Il veut revoir encore une fois son Ingeborg ; il veut la revoir et lui dire un dernier adieu.

Un jour que le roi Ring était assis dans sa salle de banquet avec la fille de Bele, lui vieux, semblable, dit le poète, au froid automne, elle toute jeune, rose et fraîche comme le printemps, on voit entrer un vieillard couvert d’une longue barbe et d’un manteau sale. Les jeunes gens, à la vue de cet hôte étrange, se mettent à rire. Mais lui, prenant d’une main robuste le plus téméraire d’entre eux, le renverse à ses pieds. Le roi le fait approcher et l’interroge. L’étranger refuse de dire son nom et son pays ; puis tout à coup il se découvre, et à la place de ce vieillard mal vêtu qui avait fait rire de pitié les convives du banquet, on aperçoit un grand et beau jeune homme dont les cheveux blonds tombent à longues boucles sur ses épaules, et dont le regard plein de courage frappe de respect tous ceux qui le contemplent.

Ring l’invite à rester chez lui, et Ingeborg lui offre, en tremblant, la coupe où le vin pétille. Dès le moment où il l’a vu apparaître, Ring a reconnu Frithiof, et il veut mettre son honneur et sa fermeté d’ame à l’épreuve. Un jour, il traverse avec sa jeune épouse un lac nouvellement couvert de glace. La glace se brise sous leurs pieds, et