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LES CÉSARS.

abolie ; il fit dire de se tuer (c’était la formule d’usage) à Silanus, son beau-père, et au jeune Tibère ; le crime de celui-ci était, selon Caïus, d’avoir pris du contre-poison pour éviter que César ne l’empoisonnât. Son ancien confident, Macron, ne devait pas échapper davantage : il était devenu grondeur, ne laissait pas Caïus dormir à table, ne lui permettait pas d’éclater de rire à la vue des bouffons ou de contrefaire leurs gestes ; quand, au spectacle, Caïus mêlait son chant à celui des acteurs, Macron le poussait doucement et le grondait tout bas : c’était un homme fort gênant, et, comme les autres, on l’invita à mourir. Les esprits étaient tellement faits au suicide, que ce genre de supplice s’exécutait sans marchander. Les empereurs faisaient ainsi économie de bourreaux.

Mais c’était encore de la raison que tout cela. Pour compléter sa folie, Caïus se souvint qu’il était dieu : « Ceux qui conduisent, disait-il, les bœufs, les moutons et les chèvres, ne sont ni bœufs, ni béliers, ni boucs ; ce sont des êtres d’une nature supérieure, ce sont des hommes. De même, ceux qui conduisent tous les peuples du monde ne sont pas des hommes ; ce sont des dieux. » Il était un jour à table avec des rois qui disputaient ensemble de leur noblesse ; Caïus les interrompit brusquement par ce passage d’Homère : « Un seul maître, un seul roi. » Il s’exalta sur cette pensée, voulut même prendre le diadème ; mais il y aurait eu là de quoi faire révolter sérieusement le peuple romain, que tant de proscriptions n’avaient pas révolté. « Seigneur, lui dit-on pour détourner cette faute, vous êtes au-dessus des rois. » À partir de ce moment, Caïus prit sa divinité au sérieux. Il commença cependant par n’être que demi-dieu ; il s’adjugea les attributs et les cérémonies d’Hercule, de Castor, d’Amphiaraus ; il contrefit Hercule avec une peau de lion et une massue d’or. D’autres fois il portait le chapeau de Castor et Pollux, la peau de faon de Bacchus ; mais c’était trop peu de chose. Il passa bientôt dieu.

Ainsi Rome, au premier mot de ce fou, tomba à genoux aux pieds de son dieu Caïus. Il eut un temple, une statue d’or ; on se disputa à prix d’argent l’honneur d’être du nombre de ses prêtres. Chaque jour on lui immola les victimes les plus exquises et les plus rares, des paons, des oiseaux du Phase, des oiseaux de Numidie ; il ne fallait pas moins au goût délicat de ce nouveau dieu. Les peuples avaient beau tenir à leurs idoles, tout ce qu’il y avait de plus parfait parmi les statues des divinités venait à Rome ; on coupait les têtes, on y substituait celle de Caïus. La pauvre Grèce était dépouillée de ses dieux, la seule chose qui lui restât ; son Jupiter olympien ne fut