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tionale. Quelques jours après, l’assemblée qu’il avait portée à s’ériger audacieusement en premier pouvoir public, ayant été privée du lieu de ses séances, elle se réunit au jeu de paume, où Sieyes rédigea le serment célèbre et décisif prêté par tous ses membres, de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeraient, jusqu’à ce qu’ils eussent fixé la constitution et opéré la régénération de l’ordre public[1]. Enfin la couronne, dans la séance royale du 23 juin, ayant cassé tous les arrêtés précédens des communes, et ayant prescrit à ses membres de se séparer, Sieyes, après l’éloquente et fougueuse apostrophe de Mirabeau au grand-maître des cérémonies, se contenta de dire à ses collègues : Nous sommes aujourd’hui ce que nous étions hier… Délibérons[2]. On délibéra, et la révolution fut faite.

Sieyes, qui avait érigé le tiers-état en nation par sa fameuse brochure, qui venait de constituer le gouvernement de la classe moyenne en substituant l’assemblée des communes aux états-généraux du royaume, remania un peu plus tard la France de fond en comble, en brisant les anciennes provinces qu’il fit diviser en départemens. Le premier de ces changemens contenait la révolution de la société ; le second, celle du gouvernement[3] ; la troisième, celle du territoire et de l’administration.

Quoique cette dernière mesure ait été présentée à l’assemblée constituante par Thouret, elle était l’œuvre de Sieyes[4]. Il y tenait comme à une propriété exclusive, et je me souviens que lui ayant demandé, après 1830, s’il n’était pas le principal auteur de la division de la France en départemens. — « Le principal ! me répondit-il vivement et avec un juste orgueil ; mieux que cela, le seul ! »

Après ces grands travaux, il prit part aux délibérations de l’assemblée sur d’autres points importans, quoique moins capitaux. Mais il rencontra des oppositions ou des dissidences, et, comme il était impérieux et absolu, il se refroidit et s’éloigna peu à peu. L’une des premières causes de sa retraite politique fut la discus-

  1. Ibid., pag. 133.
  2. Mémoires de Bailly, vol. Ier, pag. 216.
  3. Sa Déclaration des droits servit en outre de fondement aux principes qui furent réalisés par l’assemblée.
  4. Moniteur, année 1789, no 79.