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SIEYES.

accepté la mission qui m’a été confiée, parce que je me suis constamment prononcé dans ma patrie et au milieu de toutes les fonctions auxquelles j’ai été appelé, en faveur du système qui tend à unir par des liens intimes les intérêts de la France et de la Prusse ; parce que les instructions que j’ai reçues étant conformes à mon opinion politique, mon ministère doit être franc, loyal, amical, convenable en tout à la moralité de mon caractère ; parce que ce système d’union d’où dépendent la bonne position de l’Europe et le salut peut-être d’une partie de l’Allemagne eût été celui de Frédéric II, grand parmi les rois, immortel parmi les hommes ; parce que ce système enfin est digne de la raison judicieuse et des bonnes intentions qui signalent le commencement de votre règne[1]. »

Mais il ne réussit point dans la première partie de sa mission. Il trouva un gouvernement circonspect, une société hostile, un roi nouveau, un ministre indécis qu’il appelait le ministre des ajournemens, qui redoutait les conversations comme les engagemens, et qui croyait gagner toutes les affaires qu’il évitait de traiter. Toutefois, si le représentant de la révolution essaya vainement d’engager le cabinet prussien dans une alliance avec elle, ses ennemis tentèrent tout aussi vainement de la précipiter dans une coalition contre elle. Sa prudence, excitée par le souvenir de ses désastres de 1792, résista aux menaces de la Russie et aux offres de l’Angleterre. De son regard pénétrant et sûr, Sieyes vit sur-le-champ que la Prusse ne renoncerait à sa neutralité pour personne, l’annonça au directoire avec une opiniâtre assurance, lorsque le prince Repnin, le comte de Cobenzel, lord Elgin, lord Grenville, se succédaient à Berlin, et même après que la coalition se fut déclarée par l’attentat de Rastadt.

Quant à lui, nommé coup sur coup député aux cinq-cents par le département d’Indre-et-Loire et membre du directoire, il quitta Berlin en mai 1799, après y être demeuré un peu moins d’une année. Il y était arrivé avec la réputation d’un publiciste profond ; il en partit avec celle d’un observateur habile, d’un homme grave et spirituel, d’un politique supérieur, qui avait représenté son pays avec dignité et avait su convaincre de sa puissance. Pendant la durée de cette mission, il écrivit une correspondance restée

  1. Correspondance de Prusse, année 1798, aux Archives des affaires étrangères.