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dépôt qui se forma derrière l’épaule, et l’emporta si subitement, que sa mort resta secrète pour son quartier-général. Un courrier fut expédié à Tippoo, qui eut le temps d’arriver des provinces éloignées de l’ouest, et apprit en personne aux troupes une nouvelle dont sa présence seule pouvait diminuer la funeste impression.

Le passage de Pedoonaig-Droog se franchit en quelques heures. Parvenu au sommet, je débouchai sur un vaste plateau où je fus accueilli par un vent froid et violent qui me fut très douloureux. Je ne pouvais me débarrasser d’un frisson glacial, et je ne me souviens pas d’avoir jamais autant souffert en Europe, au milieu des neiges des Alpes ou des Pyrénées. Il est vrai que le changement de température était un peu brusque ; la veille encore j’étais épuisé par l’action dévorante d’un climat de feu, et j’arrivais de la côte de Coromandel où les rayons solaires, réfléchis par de longues plages sablonneuses, concentrent une chaleur étouffante qui monte au visage et produit des congestions cérébrales souvent mortelles. Aussi les accidens sont-ils fréquens, surtout à l’époque des vents de terre, qui règnent sur la côte pendant les mois de mai, juin et juillet. J’ai été témoin des singuliers effets de ces vents du nord à Pondichéry. Tout le temps de leur durée, chaque objet paraît brûlant au toucher, même les siéges de paille de bambou, sur lesquels vous cherchez à reposer. Le verre que vous portez à vos lèvres produit une douleur cuisante ; l’eau seule, par une bizarre anomalie, semble fraîche. Au contraire, lorsque la brise de mer s’élève pour rendre à l’atmosphère sa température ordinaire, l’eau, qui, quelques momens auparavant, était le seul réfrigérant que l’on pût se procurer, acquiert à son tour une tiédeur désagréable.

Lorsque nous débarquâmes, au mois de mai, à Pondichéry, ces vents de terre, qui commençaient à souffler à des intervalles assez rapprochés, achevèrent de détruire le peu de vie qui soutenait encore l’ancien gouverneur, M. de Melay. Il rassembla ce qui lui restait de forces pour monter à bord de son bâtiment, et l’espoir de revoir la France le ranima un instant ; mais les plages meurtrières qu’il cherchait à fuir réclamèrent leur proie près de leur échapper. Le troisième jour de son départ, encore en vue des côtes de l’Inde, il s’éteignit complètement, et ses dépouilles, comme celles de Jacquemont, revinrent à cette terre inhospitalière, triste fin de deux hommes éminens, partis ensemble pour des régions lointaines, et qui succombaient au moment de recueillir les fruits d’une longue expatriation et de nombreux sacrifices. Presque témoin moi-même des dernières souffrances de M. de Melay, j’ai rencontré plus tard, dans mes voyages, des personnes qui avaient eu des relations avec Victor Jacquemont : je me suis trouvé plusieurs fois à Poonah et à