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La morale, de peur d’une atteinte mortelle,
Comme un cygne effrayé, jette au vent sa grande aile ;
L’homme met de côté, comme un pesant fardeau,
Tout ce qu’on voit au cœur s’épanouir de beau ;
Les sentimens divins de l’époux et du père
Ne sont plus que des mots, qu’une vaine chimère ;
L’ardente politique aux cris tumultueux,
La gloire qui régit les bataillons poudreux,
Les arts n’ont plus d’échos, et leur clameur splendide
S’éteint sous les calculs de la foule cupide.
Là, devant le veau d’or, ton nom, ô liberté,
Comme une marchandise est froidement coté ;
Là, d’une égale main, sans culte et sans patrie,
Comme d’ignobles chiens nés pour la boucherie,
On nourrit avec l’or deux sombres factions
Sur la poitrine en sang des pauvres nations.
Ce temple est le réduit de toutes les démences,
Le grand marché public aux trônes et croyances,
Et pour le monde jeune et pour le monde vieux,
L’antre d’où sont tirés et les rois et les dieux.

Ô profonde douleur ! ô terribles présages
Qui tourmentent sans fin les penseurs de nos âges !
Hélas ! hélas ! en vain, comme des chassieux,
Qui marchent dans la nuit en clignant les deux yeux,
Nous nous efforçons tous, pilotes sans boussole,
De lire dans les feux de la grande coupole
Vers quel noble avenir vogue le genre humain :
Tandis que nous cherchons à l’horizon lointain,
L’amour, l’amour de l’or envahit le rivage,
Et son flot chaque jour déborde davantage.
Le sol ne suffit plus à nos besoins pressans
Pour combler désormais tant d’appétits puissans ;
La terre ouvre trop peu son entraille divine,
Les hommes et le ciel deviennent une mine,
Et cette mine immense abonde en travailleurs,
Ardens à découvrir les filons les meilleurs.
Sous mille doigts fangeux, inépuisables veines,