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LETTRES SUR L’ISLANDE.

arbres sont renversés avec leurs racines ; les montagnes s’écroulent ; les étoiles tombent du ciel ; deux loups engloutissent le soleil et la lune, et le monde est plongé dans les ténèbres. L’Océan, que la main du Créateur n’arrête plus dans son lit de sable, inonde le globe. Sur ses vagues orageuses on voit flotter le Naglefar[1]. Les géans eux-mêmes le remplissent et s’en vont chercher les dieux. Le serpent Midgard fouette les eaux de sa large queue, et lance son venin dans les airs. Le loup Fenris s’avance l’œil enflammé ; une de ses mâchoires touche à la terre, l’autre au ciel. Loki marche, comme l’Antéchrist, à la tête de tous les monstres, et Surtur le suit avec une épée flamboyante à la main.

À l’entrée de la forteresse céleste, Heimdal jette le cri d’alarme, et sonne la trompette qui retentit dans le monde entier. Odin va consulter la source de Mimer, et tous les dieux se préparent au combat. Surtur renverse à ses pieds l’amoureux Freyr, qui n’a plus d’épée. Thor écrase le serpent, et puis tombe lui-même sous le poids du venin que le monstre lui a jeté. Le loup dévore Odin ; mais le puissant Vidar s’élance contre lui, pose un pied sur sa mâchoire, et, d’une main de fer, lui déchire la mâchoire supérieure. Loki et Heimdal se tuent l’un l’autre, et Surtur, le génie du feu, embrase le monde.

Le monde s’est écroulé comme dans l’Apocalypse, comme dans le Zendavesta, comme dans les Védas. Les hommes ont péri dans le feu, les dieux ont disparu. Mais du milieu des flots purifiés, une autre terre surgit plus fraîche et plus riante que la première. Balder ressuscite ; Vidar et Vali ont survécu à la race des dieux. Un enfant du soleil éclaire de ses rayons limpides ce nouveau monde. Un homme et une femme ont échappé à l’embrasement universel, et répandent sur le globe une famille nombreuse. Au Valhalla succède un autre paradis plus heureux et plus beau, et le Niflheim est remplacé par un autre enfer. Le sol, béni par les dieux, n’attend plus que le laboureur le sillonne à la sueur de son front. Il se couvre de fleurs et de fruits. Un ciel d’azur s’élève sur cette terre féconde ; un printemps éternel sourit à tous les regards. Les hommes vivent d’une vie paisible dans une atmosphère de joie et de lumière. Les dieux retrouvent sur le gazon les tables d’or des Ases, et s’asseoient l’un auprès de l’autre, et s’entretiennent du temps passé.

Ainsi finit le dogme de la mythologie Scandinave ; ainsi finit celui de tous les peuples, par des rêves qui s’en vont au-delà des siècles, par l’amère douleur qui détruit la terre où chacun souffre, et la foi qui recrée aussitôt une terre idéale, un monde éternel.


X. Marmier.
  1. Vaisseau construit avec les ongles des morts.