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REVUE. — CHRONIQUE.

ainsi de prendre envers un homme auquel la critique de notre temps, pour peu qu’elle se respecte, doit au moins des égards, car il l’a relevée, et, nous le disons sans crainte qu’on nous démente, il en est l’honneur ? Serait-ce que toute cette rhétorique tend à prouver qu’il vaut mieux avoir fait Barnave que Stello, et que l’auteur de l’Âne Mort est un plus grand écrivain que l’auteur de Volupté ? Vraiment, alors, cet acharnement n’a plus de quoi nous étonner ; nous trouvons même fort simple que ces articles se reproduisent à l’infini et par intervalles égaux ; il faut de la persévérance dans une pareille opinion pour la faire adopter du public. Il n’est pas de semaine où le Journal des Débats ne sacrifie au moins quatre jeunes victimes pieds et poings liés à son Jupiter. Or, le Jupiter du Journal des Débats, c’est M. Hugo. Glorieux sacrifices, sur ma foi, et dont l’odeur doit sembler douce au nez du grand poète. Vive Dieu ! M. Hugo ! que votre majesté doit s’applaudir par momens d’avoir composé ce chef-d’œuvre qu’on appelle Esmeralda ! Que votre front sublime doit prendre une expression surnaturelle à ce victorieux souvenir ! Si M. Hugo n’avait fait dans sa vie que Notre-Dame de Paris et Marion Delorme ; s’il était tout simplement l’auteur des Odes et Ballades, des Feuilles d’automne et des Orientales, M. Hugo ne serait, pour le Journal des Débats, qu’un poète ordinaire, c’est-à-dire un pauvre homme, qu’on loue ou qu’on attaque, non pas selon la valeur de son œuvre, mais selon le caprice du moment ; qu’on élève ou qu’on rabaisse au gré de son humeur. Mais voyez le miracle ! M. Hugo a fait plus que Notre-Dame de Paris, plus que les Feuilles d’automne, plus que les Orientales ; il a fait plus que Byron, plus que Lamartine, plus que tous : M. Hugo a fait le poème d’Esmeralda à l’usage de la musique de Mlle Bertin ! Aussi M. Hugo, en temporisateur habile, en Fabius littéraire, a-t-il mis quatre années à ce laborieux enfantement. Dès-lors, on le divinise, on l’installe dans son olympe, on se prosterne ; le Journal des Débats est le sacrificateur ; il tient le couteau, il offre des holocaustes au dieu. Désormais M. Hugo se fait un grand festin des plus beaux noms de France ; il les absorbe en lui, il s’en nourrit ; chaque jour on lui sert des gloires à son repas ; anciennes ou nouvelles, tout lui est bon. Depuis que M. Hugo a rimé deux ou trois milliers de vers pour Mlle Bertin, le Journal des Débats s’est fait le pourvoyeur de ses appétits insatiables.

Du reste, le Journal des Débats n’a rien à se reprocher de ce côté : lorsqu’il frappe ainsi à tours de bras sur le talent, il sait à part lui qu’il ne frappera pas sur son œuvre. Cette divination qui fait que l’on découvre le talent là où il est, cet instinct généreux et sympathique qui fait qu’on le soutient, qu’on l’aide, qu’on s’associe à sa fortune, nul au monde ne