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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/395

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ILLUSTRATIONS SCIENTIFIQUES.

sensibilité que s’était de bonne heure trop retranchée la froideur des autres, restée chez lui entière, les croyances morales toujours émues, la naïveté, et de plus en plus jusqu’au bout, à travers les fortes spéculations, une inexpérience craintive, une enfance, qui ne semblent point de notre temps, et toutes sortes de contrastes.

Les contrastes qui frappent chez Laplace, Lagrange, Monge et Cuvier, ce sont, par exemple, leurs prétentions ou leurs qualités d’hommes d’état, d’hommes politiques influens ; ce sont les titres et les dignités dont ils recouvrent et quelquefois affublent leur vrai génie. Voilà, si je ne me trompe, des distractions aussi et des absences de ce génie, et qui pis est, volontaires. Chez M. Ampère, les contrastes sont sans doute d’un autre ordre ; mais ce qu’il suffit d’abord de dire, c’est qu’ici la vanité du moins n’a aucune part, et que si des faiblesses également y paraissent, elles restent plus naïves et comme touchantes, laissant subsister l’entière vénération dans le sourire.

Deux parts sont à faire dans l’histoire des savans : le côté sévère, proprement historique, qui comprend leurs découvertes positives et ce qu’ils ont ajouté d’essentiel au monument de la connaissance humaine, et puis leur esprit en lui-même et l’anecdote de leur vie. La solide part de la vie scientifique de M. Ampère étant retracée ci-après par un juge bien compétent, M. Littré, nous avons donc à faire connaître, s’il se peut, l’homme même, à tâcher de le suivre dans son origine, sa formation active, son étendue, ses digressions et ses mélanges, à dérouler ses phases diverses, ses vicissitudes d’esprit, ses richesses d’ame, et à fixer les principaux traits de sa physionomie dans cette élite de la famille humaine dont il est un des fils glorieux.

André-Marie Ampère naquit à Lyon le 20 janvier 1775. Son père, négociant retiré, homme assez instruit, l’éleva lui-même au village de Polémieux, où se passèrent de nombreuses années. Dans ce pays sauvage, montueux, séparé des routes, l’enfant grandissait, libre sous son père, et apprenait tout presque de lui-même. Les combinaisons mathématiques l’occupèrent de bonne heure ; et, dans la convalescence d’une maladie, on le surprit faisant des calculs avec les morceaux d’un biscuit qu’on lui avait donné. Son père avait commencé de lui enseigner le latin ; mais lorsqu’il vit cette disposition singulière pour les mathématiques, il la favorisa,