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pour plusieurs, pour les Jussieu, pour Euler, par exemple. Quant au grand Haller, il est nécessaire de lire le journal de sa vie pour découvrir sa lutte perpétuelle et ses combats sous cette apparence calme qu’on lui connaissait : il s’est presque autant tourmenté que Pascal. M. Ampère était de ceux-ci, de ceux que l’épreuve tourmente, et quoique sa foi fût réelle, et qu’en définitive elle triomphât, elle ne resta ni sans éclipses ni sans vicissitudes. Je lis dans une lettre de ce temps :


« … J’ai été chercher, dans la petite chambre au-dessus du laboratoire, où est toujours mon bureau, le portefeuille en soie. J’en veux faire la revue ce soir, après avoir répondu à tous les articles de ta dernière lettre, et t’avoir priée, d’après une suite d’idées qui se sont depuis une heure succédées dans ma tête, de m’envoyer les deux livres que je te demanderai tout à l’heure. L’état de mon esprit est singulier : il est comme un homme qui se noierait dans son crachat… Les idées de Dieu, d’Éternité, dominaient parmi celles qui flottaient dans mon imagination, et après bien des pensées et des réflexions singulières dont le détail serait trop long, je me suis déterminé à te demander le Psautier français de La Harpe, qui doit être à la maison, broché, je crois, en papier vert, et un livre d’Heures à ton choix. »


Il faudrait le verbe de Pascal ou de Bossuet pour triompher pertinemment de cet homme de génie qui se noie, nous dit-il, en sa pensée comme en son crachat. Je trouve encore quelques endroits qui dénotent un retour pratique : « Je finis cette lettre parce que j’entends sonner une messe où je veux aller demander la guérison de ma Julie. » Et encore : « Je veux aller demain m’acquitter de ce que tu sais et prier pour vous deux. » — Ainsi vivant en attente, aspirant toujours à la réunion avec sa femme, il n’en voyait le moyen que dans sa nomination au futur lycée de Lyon, et s’écriait : « Ah ! lycée, lycée, quand viendras-tu à mon secours ? »

Le lycée vint, mais sa femme, au terme de sa maladie, se mourait. Les dernières lignes du journal parleront pour moi, et mieux que moi :


« 17 avril (1803), dimanche de Quasimodo. Je revins de Bourg pour ne plus quitter ma Julie.
… 15 mai, dimanche. Je fus à l’église de Polémieux, pour la première fois depuis la mort de ma sœur.