Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/453

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
449
DU THÉÂTRE EN FRANCE.

il n’a pas même entrevu la passion ; il a pris sur le fait, non pas les sentimens, mais les appétits. Il a décoré du nom d’amour l’entraînement d’un sexe vers l’autre, mais il n’a jamais présenté sur le théâtre l’amour vrai, l’amour pur, l’amour poétique. Il a toujours et partout substitué l’espèce à l’individu, l’animal au héros, la chaleur du sang à l’espérance exaltée. Non-seulement il n’a pas idéalisé la réalité qu’il avait sous les yeux, mais il n’a pas représenté la réalité complète. S’il eût exprimé sans élimination le modèle qu’il voulait copier, il n’aurait pas pris rang dans la famille des poètes ; mais du moins les poètes l’auraient compris sans lui accorder l’honneur d’une sympathie fraternelle. En réduisant l’homme à l’énergie physiologique, il impose aux poètes la nécessité de ne pas le comprendre. S’il eût accompli jusqu’au bout la tâche qu’il s’était prescrite, il n’aurait pas fait preuve de puissance poétique ; mais du moins, il aurait mis sous les yeux de la foule l’élément que la poésie dégage et idéalise, plus un élément inutile et importun dans l’ordre littéraire, que la poésie néglige sans le méconnaître, et la foule, sans avoir conscience de l’élément inutile, aurait dû à M. Dumas des émotions d’un ordre élevé. En circonscrivant le drame dans les limites physiologiques, il s’est condamné à la perpétuelle répétition d’une scène qui ne varie jamais, et dont les seuls acteurs sont et seront toujours la force qui désire et la faiblesse qui ne peut se défendre. Hier il y avait, et demain il y aura encore des spectateurs et des applaudissemens pour cette scène invariable ; mais cette objection est sans valeur dans la discussion littéraire. Quand M. Dumas compterait par centaines les victoires qu’il appelle dramatiques, notre opinion ne serait pas ébranlée, et nous persisterions à croire que le drame physiologique est incomplet en face de la réalité, et nul en face de la poésie. Cet avis ne paraîtra singulier qu’aux hommes qui dédaignent la réflexion comme un labeur importun ; mais nous avons la certitude que les admirateurs même de M. Dumas se rangeraient de notre côté, s’ils voulaient descendre dans leur conscience et se demander compte de leur approbation : car ils ne trouveraient dans leurs souvenirs que le trouble des sens et jamais l’émotion poétique.

M. Hugo est arrivé au théâtre comme au roman, par l’ode. Aussi les trois premiers drames qu’il a écrits pour la scène sont-