Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/499

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
495
LETTRES POLITIQUES.

des affaires, grandi le pouvoir et remédié en rien aux maux qu’elles devaient finir.

Voilà cependant la tâche éternelle de M. Guizot ; c’est un pilote qui jette sur le flanc le vaisseau de l’état, et qui s’occupe à le rapetasser et à lui mettre des chevilles, au lieu de le pousser, d’une main ferme et hardie, dans une route sûre. Or, quand je dis M. Guizot, je dis M. Molé, puisque M. Molé a accepté, plus ou moins volontairement, la solidarité des actes et des systèmes de M. Guizot. M. Guizot donc, ou le ministère, si vous voulez, songe-t-il à raffermir le dévouement de l’armée, et à maintenir la discipline et le principe d’obéissance, c’est la loi de disjonction qu’il imagine ; et il faut bien reconnaître ici l’influence de M. Guizot, qui, dans les circonstances difficiles, ne trouve jamais d’autre expédient qu’une loi, et qui ne cherche pas à s’assurer si une mesure pratique, passez-moi ce mot, ne produirait pas les mêmes résultats ou de meilleurs résultats encore. La loi qui fournira au pouvoir les moyens de punir plus sûrement dans l’armée un acte de révolte, fera-t-elle que les actes de révolte seront moins fréquens ? Je ne le pense pas. L’esprit d’insubordination qui se manifeste dans l’armée, dit-on, et je me plais à croire qu’on l’exagère, tient à une cause à laquelle la disjonction et mille lois d’intimidation de ce genre ne remédieraient pas. Le motif est que l’armée la plus jeune de l’Europe, puisqu’elle se renouvelle presque entièrement en six ans, est commandée par les généraux et les officiers les plus braves, les plus estimables, les plus renommés, mais aussi les plus vieux, les plus cassés et les plus fatigués du monde. Le général, en France, a, terme moyen, cinquante-cinq ans ; le colonel, cinquante ; le chef de bataillon et le capitaine, au moins quarante ; jugez de la communauté d’idées et de mœurs entre ces chefs et leurs subordonnés, qui sont des soldats et des sous-officiers de vingt à vingt-cinq ans ! On avait tant reproché au gouvernement de la restauration d’avoir délaissé les braves de l’empire, et de s’être ainsi désarmé contre les factions en se privant du concours des officiers de Napoléon, que le gouvernement de juillet s’était empressé à son avènement d’arracher à leur retraite tous ces vétérans de notre gloire militaire, sans songer que les torts de la restauration envers leur âge mûr dataient déjà de quinze ans. Sept années, sept grasses et lourdes années de repos ; se sont encore appesanties