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du sophisme et de la décadence ; le roman ergoteur de la Rose appartient à ce déclin. Les fabliaux du xvie siècle sont les épisodes détachés du grand poème du xiiie. Villon, Marot, Saint-Gelais, ces prétendus ancêtres, ont perdu déjà la grande trace du passé. De l’épopée, ils sont descendus au madrigal ; de la simplicité débonnaire des romans de chevalerie, à la mignardise du rondeau. Ingénieux et subtils dans le mécanisme des vers, ce qui leur manque, c’est la pensée. Toutefois, jusque sous la Ligue et Louis XIII, un reste du vieux génie héroïque se perpétue emphatiquement dans les Amadis. En ce moment, le fantôme des traditions disparaît, avec la féodalité, sous Richelieu.

En un mot, la poésie française a eu deux époques principales, l’une toute féodale, au temps des croisades, l’autre toute royale, au siècle de Louis XIV. L’intervalle qui les sépare comprend la dissolution de la première et l’avènement de la seconde. De plus, ces deux époques n’ont entre elles presque aucun rapport de continuité, l’une n’étant point renfermée dans l’autre, ni produite par l’autre ; et ce divorce d’avec la tradition est ce qui donne à la poésie en France un caractère particulier et presque unique en Europe.

Faut-il regretter que le siècle de Louis XIV ait en partie rejeté le passé national, et qu’il se soit plié aux formes de l’antiquité, au lieu de continuer l’œuvre ébauchée du moyen-âge ? Cette question, qui est au fond celle de la société française, en renferme mille autres. Elle se résout par cette unique considération, que le retour à la tradition était impossible ; il n’y avait plus aucune convenance entre la naïveté des traditions ecclésiastiques et chevaleresques, et le scepticisme pieux auquel on touchait alors. Si la France eut tenté de recommencer son passé et de remonter à son âge d’innocence, elle n’eût pu y réussir que par un mensonge social. Arthus et Louis XIV étaient mal faits l’un pour l’autre ; le moyen-âge avait manqué sa tâche ; ce n’était pas à la monarchie à refaire l’œuvre de la féodalité.

Que serait-ce, au contraire, si de cet oubli de la tradition était née en partie la puissance sociale du siècle de Louis XIV, et si c’était là le point par où le génie de ce siècle s’accorde le mieux avec le génie permanent de la France moderne ? Or, c’est ce qu’on ne saurait nier. Dans le reste de l’Europe, la tradition des formes