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HISTOIRE DE VITTORIA ACCORAMBONI.

serait fait prompte et sévère justice d’un attentat si énorme. Mais le cardinal, après avoir remercié très humblement sa sainteté, la supplia de ne pas ordonner de recherches sur ce qui était arrivé, protestant que pour sa part il pardonnait de bon cœur à l’auteur, quel qu’il pût être. Et immédiatement après cette prière, exprimée en très peu de mots, le cardinal passa au détail des affaires dont il était chargé, comme si rien d’extraordinaire ne fût arrivé.

Les yeux de tous les cardinaux présens au consistoire étaient fixés sur le pape et sur Montalto ; et quoiqu’il soit assurément fort difficile de donner le change à l’œil exercé des courtisans, aucun pourtant n’osa dire que le visage du cardinal Montalto eût trahi la moindre émotion en voyant de si près les sanglots de sa sainteté, laquelle, à dire vrai, était tout-à-fait hors d’elle-même. Cette insensibilité étonnante du cardinal Montalto ne se démentit point durant tout le temps de son travail avec sa sainteté. Ce fut au point que le pape lui-même en fut frappé, et, le consistoire terminé, il ne put s’empêcher de dire au cardinal de San Sisto, son neveu favori :

Veramente, costui è un gran frate ! (En vérité, cet homme est un fier moine[1].)

La façon d’agir du cardinal Montalto ne fut, en aucun point, différente pendant toutes les journées qui suivirent. Ainsi que c’est la coutume, il reçut les visites de condoléance des cardinaux, des prélats et des princes romains, et avec aucun, en quelque liaison qu’il fût avec lui, il ne se laissa emporter à aucune parole de douleur ou de lamentation. Avec tous, après un court raisonnement sur l’instabilité des choses humaines, confirmé et fortifié par des sentences et des textes tirés des saintes écritures ou des pères ; il changeait promptement de discours, et venait à parler des nouvelles de la ville ou des affaires particulières du personnage avec lequel il se trouvait, exactement comme s’il eût voulu consoler ses consolateurs.

Rome fut surtout curieuse de ce qui se passerait pendant la visite que devait lui faire le prince Paolo Giordano Orsini, duc de

  1. Allusion à l’hypocrisie que les mauvais esprits croient fréquente chez les moines. Sixte-Quint avait été moine mendiant, et persécuté dans son ordre. Voir sa vie par Gregorio Leli, historien amusant, qui n’est pas plus menteur qu’un autre. Félix Peretti fut assassiné en 1580 ; son oncle fut créé pape en 1585.