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impressionnables. Seulement les poètes ont un dédommagement de plus, c’est d’occuper le public de leurs souffrances, et d’y puiser mille satisfactions d’amour-propre. Plus je réfléchis, plus je les trouve exigeans et mal fondés dans leurs plaintes, de vouloir le talent sans la douleur, l’effet sans la cause, d’aspirer tout ensemble à la gloire et au bonheur. Pour les poètes lyriques surtout, est-ce possible, eux qui sont le sujet de leurs chants ? Heureux, qu’auraient-ils à nous dire ? Ne faut-il pas qu’ils pleurent pour nous intéresser ? La question serait éclaircie, je crois, si, au lieu de répéter que les poètes sont malheureux, on reconnaissait que ce sont les malheureux qui sont poètes.

« Et n’appelez pas cette explication un motif ingénieux de résignation aux maux d’autrui ; quoique vieux, je ne suis pas encore si égoïste. Mais pourquoi aurais-je tant de scrupules ? Placez un poète entre la souffrance et l’obscurité, son choix ne sera pas douteux. Je fais comme lui : son talent me console de ses malheurs, puisque c’est une filiation inévitable, et je suis de l’avis d’une femme de ma connaissance, qui a pour règle de ne jamais lire les ouvrages d’un poète dont la vie ne l’a pas fait pleurer. »

Burns est du nombre des poètes que mon vieil ami a dû lire, car sa vie fut empoisonnée par bien des chagrins, non pas de ces infortunes brillantes et dramatiques, qui excitent l’intérêt de la foule, et trouvent leurs dédommagemens dans l’effet qu’elles produisent, mais de ces misères lentes, obscures, continues, qui minent peu à peu les forces morales et physiques, et qui me semblent beaucoup plus dignes de compassion.

Fils d’un pauvre fermier du comté d’Ayr, en Écosse, Robert Burns apprit, dès l’enfance, à se familiariser avec les travaux et les privations que sa destinée lui réservait. Son père, homme d’un caractère recommandable et d’un esprit fort au-dessus de sa position, lutta toute sa vie contre la mauvaise fortune, et ne laissa à ses enfans, pour tout patrimoine, que l’exemple de ses vertus et une éducation passable, qui était en partie son ouvrage. Livrés à eux-mêmes, Robert et son jeune frère Gilbert prirent, comme leur père, une ferme à bail ; mais leur entreprise ne réussit pas mieux que les siennes. Outre la fatalité qui s’acharnait sur toute cette famille, une autre cause personnelle à Robert mettait obstacle au succès : l’amour, qui seul détourne assez déjà de ce qu’on nomme